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CHAPITRE XII

 

LES «JOURNÉES DE MAI» A BARCELONE

 

Pendant toute la durée de son gouvernement, de septembre 1936 à mai 1937, Largo Caballero, qui fut Premier ministre et ministre de la Défense, avait servi fldèlement la contrerévolution. Comme le remarque Peirats, il avait sauvé le principe du gouvernement et lui avait donné du prestige. Mais dans ce processus, il s’était profondément engagé avec les communistes et avec leur patron russe. Il semble que Caballero ne se faisait pas d’illusions sur la loyauté des communistes, mais il s’en faisait sur ses propres capacités de contrôle et de direction de la politique du gouvernement; il se considérait, en fait, comme le «Lénine espagnol», qui, par sa seule personnalité, était en mesure de maintenir l’équilibre entre les forces révolutionnaires et réactionnaires représentées dans son cabinet. Il ne voulait ni desmilices ni de l’armée régulière, ni du vieil ordre ni de l’ordre révolutionnaire. Il promit aux communistes la conscription et la construction de solides défenses; aux anarchistes une guerre révolutionnaire. Et tout sous sa direction personnelle. Il ne fit rien de tout cela, et son gouvernement se caractérisa par des désastres militaires et par la consolidation soit des institutions étatiques, soit du pouvoir contrerévolutionnaire.

Le «Lénine espagnol» avait atteint son but en ce qui concernait les communistes. Son obstination et sa vanité l’avaient empêché de devenir un instrument docile de la politique communiste et, en mars 1937, il était presque complètement isolé, même de l’UGT, dont son pouvoir et son autorité dépendaient en tant que chef de cette organisation. Le moment de lui substituer un homme plus adapté aux directives d’inspiration russe semblait arrivé. De plus, les communistes et leurs alliés réactionnaires se sentaient maintenant assez forts, étant appuyés par les forces armées reconstituées dans les services de l’arrière du gouvernement Caballero, pour éliminer enfin la puissante influence exercée par les organisations révolutionnaires. Leur premier objectif fut le POUM de Catalogne (parti marxiste antistalinien); après quoi, devait suivre une attaque concertée contre la CNT-FAI. Au début de 1937, ils mirent à exécution leurs projets par des provocations et des manœuvres armées, faites isolément (La Fatarella, Molins de Llobregat, Puigcerda). En même temps, le Gouvernement Catalan rendit exécutifs 58 décrets (12 janvier 1937) rédigés par le Conseiller aux Finances, Josep Tarradellas, qui visaient clairement à étouffer la révolution sociale, par l’augmentation du contrôle gouvernemental sur les entreprises, collectivisées et par l’imposition d’une nouvelle taxe sur la production.

Et, en mars, un décret du Conseiller de l’Ordre Public dissolvait les «Patrullas de Control» ouvrier (Patrouilles de sécurité) et décrétait que les membres des corps d’armée de l’arrière, contrôlés par le Gouvernement ne devaient appartenir à aucun parti ou organisation. En meême temps, le plan de «désarmement de l’arrière» fut établi. Quiconque détenait, des armes sans autorisation officielle serait désarmé et mis en jugement. Il ne pouvait y avoir aucun doute sur les intentions cachées sous de telles manœuvres.

A cette occasion, toutefois, la réaction dans les rangs des militants fut telle que leurs «représentants» au gouvernement catalan furent obligés de se démettre, ce qui provoqua encore une autre crise gouvernementale. Les déclarations du Comité Régional de la CNT et des goupes anarchistes de Barcelone furent explicites et, bien qu’elles soient restées dans le ton de la collaboration entre les organisations et les partis, elles montraient une plus grande détermination que les précédentes. L’intervention personnelle du Président Companys, le 26 avril 1937, amena la formation d’un gouvernement provisoire «de caractère strictement interne» avec des représentants de la CNT, de l’UGT et de l’Esquerra. Mais cela ne pouvait arrêter la crise réelle pendant laquelle le Gouvernement Catalan, d’inspiration communiste, se serait heurté à celui des révolutionnaires de Barcelone. Un symptôme de l’atmosphère qui régnait en Catalogne, fut le refus des communistes de participer à toute, célébration du 1er mai, ainsi que l’activité de la police dans les rues de Barcelone s’efforçant de créer des désordres. «Solidaridad Obrera», dans l’édition du 2 mai, répond à ces provocations en des termes trés clairs:

«Les travailleurs armés sont l’unique garantie de la Révolution. Tenter de les désarmer signifie se mettre de l’autre côté de la barricade. Quelque Conseiller ou Commissaire qu’on puisse être, on ne peut donner des ordres aux travailleurs qui combattent le fascisme avec plus de sacrifices et d’héroïsme que tous les politiciens de 1’arrière dont personne n’ ignore l’inconstance, et l’impuissance. Travailleurs, que personne ne se laisse désarmer sous aucun prétexte.

(Peirats, II, 191.)

Le lendemain, 3 mai, à 3 heures, le gouvernement déclencha sa première attaque organisée, provoquant des combats dans les rues de Barcelone, qui devaient durer plusieurs jours et coûter la vie à 500 travailleurs au moins. Plus de mille furent blessés et les prisons se remplirent encore une fois de militants révolutionnaires.

Nous ne nous proposons pas de traiter ici, en détail, les «Journées de mai» (parce qu’on a déjà beaucoup parlé de la lutte sanglante à Barcelone et en Catalogne en général). La littérature sur ce sujet est abondante, et le lecteur pourra consulter éventuellement les récits des témoins oculaires, de même que les versions officielles des partis et des organisations qui prirent part à la lutte 34. Dans cette étude, nous nous limiterons à un examen des aspects politiques de la lutte.

La police attaqua avec trois autocars commandés par Rodriguez Salas, Commissaire Général de l’Ordre Public, le Central téléphonique de Barcelone qui domine la place la plus fréquentée de la ville, la place de Catalogne. Salas avait un mandat du Conseiller à la Sécurité Intérieure, Artemio Ayguadè (membre de L’Esquerra, le parti de Companys), qui l’autorisait à occuper le Central. Selon Peirats * le mandat avait été donné sans consulter, apparemment, les autres membres du gouvernemen provisoire récemment formé; les quatre membres de la CNT d’ailleurs affirmèrent n’avoir pas été  informés du projet. Pris par surprise les ouvriers qui contrôlaient le Central ne furent pas en mesure d’empêcher la police d’occuper le premier étage mais ce fut son seul avantage. Les nouvelles, comme il était facile de le prévoir, se répandirent comme un éclair et, en deux heures, le Comité de Défense de la CNT-FAI entra en action. Les hommes se réunirent dans les principaux faubourgs, s’armèrent et construisirent des barricades pour le cas où l’incident s’étendrait. Valerio Mas, Secrétaire Regional de la CNT se mit en contact avec le Premier Ministre (Tarradellas) et avec le Ministre de L’Intérieur (Ayguadè) et tous l’assurèrent n’être pas au courant de l’incident bien qu’il fût prouvé ensuite que Ayguadè, en fait, en avait donné l’ordre. Au cours des négociations, le gouvernement promit de retirer la police. Il n’y eut pas de coups de feu cette nuit-là, mais le matin suivant, quand la police occupa le Palais de Justice, il fut clair que les événements de la veille  n’étaient pas un incident isolé, mais le debut d’une tentative générale du Gouvernement pour occuper les points stratégiques de la ville et, une fois assuré le contrôle armé, procéder à la liquidation définitive de la révolution. Mais les travailleurs de la CNT-FAI montrèrent le même courage et la même initiative que dans la lutte contre le soulèvement militaire de juillet 1936. Avec le POUM, ils résistèrent efficacement à l’attaque conjuguée du gouvernement et du PSUC communiste.

* José Peirats, La CNT en la Revolucion Espanola, Vol. II.

La raison donnée par Rodriguez Salas à l’attaque du Central téléphonique de Barcelone, était que les ouvriers de la CNT qui contrôlaient le Central «interceptaient» les conversations téléphoniques entre les Ministres à Barcelone et à Valence. La même justification fut avancèe par Juan Comorera (Ministre des Travaux Publics du Gouvernement de Barcelone et Secrétaire Général du PSUC de Catalogne) à un meeting à Barcelone

«Le Conseiller à la Sécurité Intérieure, en accord avec sa charge, a décidé de mettre fin à une situation anormale au Central téléphonique. Le Central téléphonique, à ce qu’il nous semble, n’est pas la propriété de la CNT. Il est autant à la CNT qu’à l’UGT, parce que les hommes qui y travaillent appartiennent soit à la CNT, soit à l’UGT. Il n’est donc la propriété de personne, et en tout état de choses, il sera la propriété de la communauté quand le gouvernement de la république nationalisera les téléphones. Mais il y avait eu là des troubles sérieux auxquels le gouvernement devait  mettre un terme. En effet, tous les contrôles internes du Central téléphonique n’étaient pas au service de la communauté, mais de l’Organisation, et ni le président Azana, ni le président Companys, ni qui que ce soit, ne pouvait parler sans être écouté par des oreilles indiscrèes. Naturellement, cela devait finir et ce fut ce jour là, comme cela aurait pu en être un autre, ou bien un mois après, ou un mois avant. Suivant ainsi les ordres donnés, notre camarade Salas Rodriguez s’est rendu au Central téléphonique pour l’occuper et un moment après la risposte habituelle est arrivée mobilisation générale et construction de barricades. Si le Conseiller à la Sécurité Intérieure avait fait quelque chose qui ne fût pas son devoir, n’y avait-il pas quatre conseillers de la CNT qui pouvaient demander des explications et même démissionner? Mais ils n’ont pas voulu suivre la procédure normale et ils ont répondu au contraire par une formidable mobilisation de tous les groupes qui occupèrent tous les points stratégiques de la ville 35

Nous avons soumis au lecteur cette indigestion verbale non seulement pour confirmer, aux sources communistes, les faits, c’est-à-dire que l’attaque du Central téléphonique provoqua la lutte à Barcelone *, mais aussi parce qu’elle révèle toute la malhonnêteté du PC:

* Il faut les démontrer également quand on lit de fausses déclarations comme celles d’Alvarez del Vayo qui fait allusion au POUM en tant qu’instigateur du soulèvement (Freedom’s Battle, Londres, 1940).

a) Comorera, en effet, ne dit pas qu’Azana ne pouvait téléphoner à Companys, mais que leur conversation était interceptée. Et non pas que les téléphones n’étaient pas disponibles pour eux;

b) En effet, au Central les travailleurs de la CNT représentaient la grande majorité. «Le Daily, Worker», qui ne peut êtreaccusé d’avoir jamais surestimé les forces des anarchistes, écrivait à l’époque: «Salas envoya la police républicaine armée désarmer les travailleurs, dont la majeure partie était membre de la CNT» (11 mai 1937, souligné par nous). Mais il ne fut jamais aucunement question de propriété car le Central était collectivisé et sous le contrôle de la CNT et de l’UGT. Et les communistes, archi-légalitaires, savaient que cette situation était sanctionnée par le Décret de Collectivisation d’octobre 1936, et signifiait entre autre, que le Gouvernement avait son organe de contrôle au Conseil d’Entreprise.

c) La CNT, en effet, demanda la démission de Salas et d’Ayguadè, qui fut refusée: «l’intransigeance des autres partis, et en particulier l’attitude, opportuniste du Président de la Généralité qui  s’opposa fermement à cette sanction, provoqua la grève générale et le déclenchement des hostilités qui suivit» (Peirats, Vol. II, page 192).

En lisant ce passage de Comorera, on ne peut négliger un autre fait: l’attitude absolument réactionnaire d’un parti qui déplore la vigilance des travailleurs révolutionnaires qui maintiennent le contrôle direct des conversations qui s’échangent entre les politiciens. La chose naturellement change complètement d’aspect lorsque les oreilles indiscrètes sont celles du Guépéou!

Il y a encore quelques confusions sur ce qui a provoqué les Journées de Mai. Derrière les barricades, contre la CNT-FAI et le POUM, il y avait des membres du PSUC et de l’Estat Català, c’est-à-dire respectivement des socialistes contrôlés par les communistes et des membres du parti «L’État Catalan», un mouvement séparatiste extrémiste. Dans un Manifeste du Comité National de la CNT, relatif aux Journées de Mai à Barcelone *, des preuves dignes de foi montrent que les membres directeurs de l’ «Estat Català» avaient conspiré en France pour conquérir «l’indépendance de la Catalogne».

*Augustin Souchy, ouvrage cité, pages 44-48.

«Les séparatistes, bourgeois en dernière analyse, ne pouvaient se résigner au soulèvement fasciste qui entraîna la victoire prolétarienne qui menaçait de détruire toutes leurs richesses. Et en cherchant une solution de remplacement, ils entrèrent en tractations avec l’Italie pour provoquer des heurts intérieurs qui auraient donné le prétexte à l’intervention étrangère, et facilité la reconnaissance de la Catalogne comme état indépendant, sapant en même temps le front antifasciste. Tous ceux qui désiraient que la Catalogne revienne au statu quo d’avant le 18 juillet, acceptèrent ces projets».

(A. Souchy, p. 44)

Deux autres détails intéressants de ce Manifeste ont trait à Ayguadè et Comorera:

«Nous devons rappeler qu’Ayguadè était le Conseiller à la Sécurité Intérieure: qu’il est membre de l’Estat Català et qu’’il fut suopçonné d’être impliqué dans la conspiration.

«Le 20 avril, Comorera, chef du PC Catalan était à Paris. Il vit, entre autres, le Secrétaire de Ventura Gassol (membre de l’Estat Català) et up certain Castañer. Qui est ce Castañer? On dit qu’il est «Agent de la Généralité» 36. On a découvert qu’il est en contact avec un certain Vintro, secrétaire d’Octavio Salto, journaliste au service des fascistes espagnols... Il entretient aussi d’étroits rapports avec les membres del’Estat Català, spécialement avec Dencas et Casanovas. Le premier va chez Castañer qui, à son tour, rerçoit Casteñer.»

Mises à part les allusions à Comorera, le manifeste de la CNT ne s’occupe pas en fait du rôle des communistes dans le déclenchement de la lutte. Peirats avance la théorie selon laquelle «des raisons de caractère politique décidèrent le Comité National de la CNT à passer sur l’important rôle directeur de la police secrète de Staline dans les Journées de Mai, c’est-à-dire sur les véritables motifs de cette provocation». (Peirats, II, 219).

Il avance l’hypothèse que peut- être le Comité manquait de preuves irréfutables, ou bien que de telles preuves ne furent pas possibles à trouver.


 

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