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CHAPITRE XVII

 

LE PLÉNUM NATIONAL DE JANVIER 1938

 

Le Pleno Nacional economico ampliado, tenu à Valence en janvier 1938, est la première assemblée générale de la Confédération depuis le Congrès de Saragosse de mai 1936 auquel nous avons fait allusion dans les premiers chapitres.

Plus de 800 délégués, qui représentaient un million sept cents mille membres environ, participèrent au Plénum de Valence. On ne peut consulter le compte rendu de ce Plénum et il faut se reporter aux rapports fragmentaires publiés dans les journaux, ainsi que dans une brochure publiée par le Comité National de la CNT où sont reproduites les résolutions adoptées par le Plénum.

Peirats souligne que, dans ce Plénum:

«Une des anomalies que l’on remarque est le choix préalable, par le Comité National, de tous les points, de l’ordre du jour. Cela va à l’encontre des procédés habituels. Bien que toutes les motions élaborées préalablement par le CN aient été discutées par les délégués présents au Plénum, le procédé aurait été dénoncé comme irrégulier et captieux dans d’autres circonstances. Une autre irrégularité qui n’avait jamais été tolérée c’est l’intervention délibérative du Comité National dans tous les débats et en particulier pour défendre ses motions.»

(Peirats. III, 12.)

Le but du Plénum, comme le secrétaire de la CNT l’expliqua, était d’examiner quelques questions fondamentales; de démontrer la maturité atteinte par l’organisation en 18 mois d’expériences constructives dans le domaine économique, et de résoudre ces problèmes avec «précision, clarté et positivisme». De plus, de renforcer l’impression générale selon laquelle les travailleurs étaient capables de résoudre les problèmes dérivant de la situation en s’imposant n’importe quel sacrifice nécessaire et en suppléant aux déficiences existantes. Enfin, d’étudier «en marge de la politique et de la guerre» la situation économique dans son ensemble et de chercher la solution la plus rationnelle et la plus pertinente.

Il n’est pas surprenant, étant donné la centralisation croissante de l’organisation, que de nombreuses résolutions de ce Plénum aient visé à augmenter le pouvoir de la bureaucratie, soit dans le contrôle et la direction de l’industrie, soit dans la vie interne de l’organisation même. Ainsi le «point quatre», si controversé, de l’ordre du jour (qui était une des trois, seules solutions adoptées par vote, les autres l’étant à l’unanimité) proposait l’institution de «Inspectores de Trabajo» pour les usines «qui étaient aux mains des ouvriers». La nécessité de ces inspecteurs est expliquée ainsi après un préambule du Comité National:

«Nous savons que l’immense majorité des travailleurs et des militants a rempli son devoir et a tâché par tous les moyens d’intensifier la production. Cependant on s’est aperçu de l’existence de minorités qui, entièrement irresponsables et inconscientes, n’ont pas donné aux activités à l’arrière le rendement qu’on pouvait attendre.» 

(Peirats, III,12-13.)

Les Inspecteurs devaient être nommés par la Fédération Nationale de l’Industrie et leur tâche et leurs pouvoirs sont résumés en trois paragraphes:

1) Les délégués proposeront les normes tendant à orienter, efficacement les différentes unités industrielles afin d’améliorer leur économie et leur administration. Ils ne pourront agir de leur propre chef; ils seront. chargés, d’appliquer et de faire appliquer les dispositions des Conseils dont ils dépendront.

2) Pour une plus grande efficacité dans les fonctions et dans les cas qui se présenteront, ils proposeront aux Conseils qui les auront nommés l’application des sanctions nécessaires aux organismes ou aux individus qui, par manquement à leur devoir, les auraient méritées.

3) L’organisation décidera de l’extension des pouvoirs coercitifs correspondant aux organismes qui doivent user de ce droit en en faisant le règlement.

«Ces dispositions concernent exclusivement les industries qui sont aux mains des ouvriers.»  

(Peirats, III, 13.)

Pour juger du pouvoir effectif des Inspecteurs, il faut se reporter au point II de l’ordre du jour qui traite de «l’institution des normes de travail». Les propositions sur le sujet prévoient entre autres l’institution d’un Comité de contrôle syndical dans chaque usine

«pour assister le Conseil d’entreprise et veiller à l’accomplissement scrupuleux du travail. Ce sera un collaborateur et il aidera toujours soit au perfectionnement des méthodes de travail soit au dépassement des minimums productifs. Le Comité de Contrôle Syndical fera appel à la Junte Syndicale pour tous les détails concernant l’entreprise. Il proposera au Conseil Technique Administratif la nomination des «distributeurs» et des responsables généraux de l’entreprise. Il facilitera la découverte des éléments négatifs, en dénonçant les cas d’incompétence qui apparaîtront. Il s’efforcera d’améliorer dans la mesure du possible les conditions matérielles du travail des ouvriers. Il proposera des avancements dans la classification professionnelle pour ceux qui l’auront mérité et qui seront passés inaperçus des Inspecteurs, en établissant pour cela un examen. Il s’occupera de 1’hygiène, de la propagande, du renforcement des biens moraux entre les ouvriers dans le travail socialisé. Il révisera périodiquement la comptabilité et adressera des rapports critiques ou élogieux concernant ces points au Conseil Technique Administratif et à la Junte Syndicale, et il se placera sous les ordres du délégué du travail pour tout ce dont celui-ci aura besoin».

(Peirats, III, 34-35)

En outre le Conseil National de l’Économie

«publiera un livret du producteur, énumérant les droits et les devoirs de tous, fixés, par le contrat économique de la production Confédérale, résumant les accords principaux du Plénum Économique élargi».

Mais cela ne suffit pas. Tout travailleur aura un livret de travail en plus du livret syndical et du livret de producteur! Le dangereux but du «livret de travail» est révélé dans les points qui traitent du travailleur inefficient et est assez important, pour être cité en entier:

«4*) Le dirigeant responsable adjoint au bureau administratif, dans la production et le Comité de Contrôle Syndical, pourra proposer le licenciement d’un ouvrier et, en accord avec le responsable général, des décisions rapides seront prises:

* Il s’agit du paragraphe 4 de la motion sur les normes de travail (N. d. T).

«— pour absence injustifiée au travail; pour les retards habituels, pour ceux qui n’exécutent pas le travail de façon satisfaisante; pour ceux qui montrent des tendances défaitistes opposant les ouvriers aux responsables du travail ou à l’orientation syndicale.

«Après licenciement, l’ouvrier peut faire appel devant l’Assemblée syndicale qui, assistée du Conseil Technique Administratif, prononcera le jugement final.

«Lorsque, acceptant la proposition d’un dirigeant, d’un responsable général ou d’un Comité de Contrôle, l’Assemblée Syndicale décide le licenciement d’un ouvrier paresseux, ou immoral, l’Industrie est tenue de lui trouver du travail ailleurs, en lui donnant son certificat de travail. Si, employé en un autre lieu, l’ouvrier récidive et est de nouveau licencié selon le processus régulier décrit ci-dessus, on ne lui donne pas de travail dans cette localité, on l’oriente dans l’industrie d’une autre localité où on l’emploiera, si on le juge nécessaire.

«Si toutefois, malgré ce transfert, il récidive de nouveau on notera ses antécédents dans les livrets de travail et syndical, laissant le soin au Syndicat intéressé de prendre les sanctions de suspension momentanée du travail, mesures qu’on recommande de ne prendre que dans les cas extrêmes.

«Pour que l’emploi du personnel par une entreprise soit suivi par le Conseil Technique Administratif du Syndicat, tous les ouvriers et les employés devront avoir une fiche déposée, où seront enregistrés des détails sur leur personnalité professionnelle et sociale. Le Conseil Technique Administratif contrôlera le personnel des sections respectives du Syndicat qui certifieront la moralité et l’attitude professionnelle.»  

(Peirats, III, 34.)

Voilà ce que la CNT en janvier 1938 considérait comme une «organisation responsable»! Nous n’hésitons pas à qualifier le «livret de travail» de signe d’esclavage auquel même les réactionnaires et accommodantes, Trades-Unions d’Amérique et d’Angleterre résistèrent énergiquement et qui fut malgré cela adoptée par la CNT par 516 voix, avec 120 contre et 82 abstentions.

Quant aux mesures pour renforcer l’«unité» de l’organisation, le point 8 de l’ordre du jour est le plus significatif. Il demande une sévère réduction du nombre de publications éditées jusqu’alors, apparemment pour cause de papier, de l’inutilité des périodiques en double emploi et du nombre limité de camarades compétents pour ce travail. Ce mot «compétent» prend un sens quelque peu sinistre quand on vient à lire qu’une autre raison de réduire le nombre des publications est le besoin de donner une orientation homogène à la presse. «Il faut en finir avec les contradictions publiques à l’intérieur du mouvement.»

Dans ce but, il est précisé qu’à Barcelone, Valence et Madrid, les quotidiens du matin et du soir «deben parecer» (doivent paraître), tandis que dans d’autres villes dûment cataloguées «pueden editarse» (peuvent être édités) seulement les journaux du matin. Cet ukase est suivi de l’avertissement solennel que «tous les journaux qui n’entreraient pas dans ce programme devraient disparaître comme antiéconomiques et inutiles».

Il est indiqué aussi, catégoriquement, ce que les journaux et les périodiques doivent publier dans leurs colonnes. Ainsi tous les quotidiens «sont obligés» (quedan obligados) par décision du Plénum National de consacrer une page ou une demi-page par jour aux paysans. Les Bulletins publiés mensuellement par chaque Fédération nationale de l’industrie traiteront des activités de l’Industrie et «ne traiteront pas des questions politiques et militaires, qui sont de la compétence exclusive des quotidiens».

De même la Fédération Nationale des Paysans publiera une revue mensuelle qui

«devra restreindre son contenu à l’étude et à l’orientation technique abandonnant absolument le terrain de l’orientation politique et syndicale, parce que la première est de la compétence exclusive des quotidiens et la seconde des Bulletins».

La tendance à contrôler l’opinion politique est manifestement claire. Il serait intéressant de savoir quels changements eurent lieu dans le personnel de rédaction des quotidiens de la CNT et le sens politique de ces changements. Et enfin, sur ordre de qui furent faits ces changements. Des informations de ce genre sont difficiles à obtenir, mais représentent une partie du matériel vitalement nécessaire pour l’évaluation sérieuse du point où se trouvait le pouvoir réel de l’organisation durant ces années orageuses.

La voie prise par la CNT au Plénum de janvier 1938 est si visible et réactionnaire que rien ne nous surprend plus. Pas même la création d’un Comité Exécutif du MLE (Mouvement Libertaire Espagnol) en Catalogne au début d’avril de la même année.

«Ce comité Exécutif agira selon le mécanisme intérieur suivant: tous les accords seront pris à l’unanimité ou à la majorité, et quand il y aura ballottage, on procédera au renouvellement complet des membres du Comité. Tous les organes locaux et régionaux des trois * Mouvements appuieront et exécuteront les résolutions du Comité.

* La CNT, la FAI et la FIJL (Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires).

«Le Comité Exécutif du MLE sera assisté d’une Commission Militaire qui le conseillera en étudiant préalablement les problèmes.

«Il entre dans les pouvoirs du Comité Exécutif, en accord avec les Comités du Mouvement, d’élire les éléments capables de constituer la Commission Militaire et la Commission politique. Les attributions exécutives de ce Comité s’étendront jusqu’à l’expulsion immédiate de ceux des individus, groupes, syndicats locaux ou régionaux, et Comités qui n’acceptent pas les résolutions générales du Mouvement et qui, par leur attitude, portent préjudice au Mouvement.

«La même peine est infligée à qui prête appui à ceux qui ont été expulsés des trois Organisations pour les raisons ci-dessus.

«Les pouvoirs exécutifs et punitifs du Comité s’exercent autant sur le front qu’à 1’arrière.» 

(Peirats, III, 91-92.)

Désormais, il ne reste plus rien — pas même l’illusion — d’une CNT «organisation révolutionnaire contrôlée par ses propres membres». Il était facile, alors, de trouver une base commune avec les leaders de l’UGT pour signer encore un autre de ces «pactes d’unité» qui abondaient dans une Espagne qui, au fil des mois, continuait à être toujours plus divisée.


 

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