No
hagas caso de lamentos ni de falsas emociones ; las mejores devociones son
los grandes pensamientos.
Y, puesto que, por momentos, el mal que le hirió se agrava, resurge, indomita y brava, y antes que hundirte cobarde, estalla en pedazos y arde.
!
Primero muerta que esclava !
(Federico
Garcia Lorca)
Le
prolétariat espagnol. - La moitié des ouvriers espagnols travaille la
terre ; une partie du prolétariat industriel, surtout en Catalogne, est
originaire de la campagne ; dans les régions montagneuses, les mineurs ont
toujours des relations intimes avec la terre, soit par le fait qu'ils habitent
le village et possèdent une petite parcelle, soit par les liens de famille ce
qui, en Espagne, est un facteur sociologique de premier ordre. Beaucoup de
traits caractéristiques du mouvement ouvrier s'expliquent par ce fait : le
manque d'une doctrine révolutionnaire, la spontanéité, voire l'explosivité
de ses actes, le caractère sporadique de l'action, l'apolitisme, l'indifférence
à l'égard du pouvoir national, mais aussi le dévouement au mouvement, le goût
de la lutte, le sens profond de justice, l'amour de la liberté, le courage et
la disposition au sacrifice, une conscience profondément démocratique et
surtout la résistance contre l'esprit capitaliste.
Le
prolétariat agricole habite les agglomérations des pueblos et travaille en «
compagnies » sous la direction de labradores. Les ouvriers agricoles sont donc
faciles à organiser. La misère les unit aux paysans si bien que les syndicats
agricoles anarchistes englobent les paysans également.
L'uniformité
de l'oppression économique et politique, dont souffre le prolétariat agricole
et citadin l'amène à considérer ses luttes contre l'exploitation et contre
l'oppression politique comme une et indivisible ; de là ses idées révolutionnaires.
L'ouvrier
individuel ne pouvant s'élever sur ses camarades, la solidarité constitue un
des traits caractéristiques du mouvement espagnol et une de ses grandes vertus.
La
concentration monopoliste du capitalisme espagnol a causé une concentration équivalente
de ses ennemis mortels. Les centres miniers, les faubourgs de Madrid, le, bassin
basque, la Catalogne, les faubourgs de Séville et les grands ports hébergent
la presque totalité des ouvriers industriels ; ces masses pèsent plus fort sur
les leviers de la politique espagnole que sur les points moins importants. D'une
façon schématique on peut représenter la répartition du prolétariat
industriel à peu près comme suit : 10% dans les mines, 10 % dans les
transports, 10 % dans l'alimentation (fabriques de conserves dans le Levant,
caves et traitement du vin, etc.), 25 % dans l'industrie textile et le vêtement
(surtout en Catalogne), 25 % dans le bâtiment (surtout à Madrid et dans les
entreprises publiques), le reste dans les autres industries.
La
proportion des manceuvres est relativement élevée; la construction mécanique
qui représente l'industie par excellence dans les pays avancés, est peu développée,
les hauts-fourneaux et fonderies sont rares, l'industrie de l'auto consiste plutôt
dans la composition de pièces détachées importées. Mais l'ouvrier espagnol a
vite appris la fabrication des armes nécessaires au gouvernement. Seulement,
faute d'un enseignement technique des ouvriers, les ingénieurs et contremaîtres
n'ont pu être remplacés par des ouvriers.
Les
différences régionales sont considérables. Sans aucun doute, l'élément le
plus réfléchi du prolétariat espagnol vit dans les Astureis, l'élément le
plus enthousiaste et le plus prêt à l'action se trouve en Catalogne et en
Andalousie.
La
vie collective du prolétariat. - Nous avons signalé l'importance des
souvenirs collectivistes dans les campagnes ; on en trouve les traces dans
la littérature espagnole. Soit dans la défense, soit dans l'offensive, soit
dans la construction, la solidarité a toujours été l'épine dorsale de toute
lutte ouvrière. Dans le sabotage de l'autorité ou dans l'administration des
services d'eaux, la collaboration des paysans du village ne connaît pas de
discriminations. Dans l'industrie, la grève de solidarité se fait facilement.
A l'occasion des occupations de terres, l'organisation du travail collectif a
toujours été le premier souci des ouvriers. L'idéal classique du
collectivisme agraire s'est joint au collectivisme industriel.
D'autre
part, ce solidarisme s'arrête souvent à la démarcation communale. La vie des
organisations est constituée plus ou moins de fratries, ainsi qu'en général
le terme de frères (hermanos) se trouve partout dans la vie collective de ce
peuple. L'organisation ouvrière, comme la police des corporations au Moyen Age,
débuta sous forme de Hermandad. Les noyaux sont donc le syndicat et la coopérative.
Sa vie gravite autour des « maisons du peuple », sièges des syndicats. Tandis
que les partis politiques n'ont que des relations plus ou moins indirectes avec
la classe ouvrière, les « maisons du peuple » et les bourses de travail sont
de véritables forteresses ouvrîères. Leur fermeture par la police était
toujours le signe d'alarme. Les régions plus avancées ont des aténéos -
universités ouvrières - des harmonies ouvrières et tout ce qui est familier
à la vie des travailleurs occidentaux.
L'action
- nous en parlerons davantage - est le moyen général d'affirmer la solidarité.
Ce n'est pas seulement leur situation de misérables qui fait déclencher la grève
à des ouvriers qui n'ont rien à perdre ; l'esprit collectif fait entrer en
lice d'autres ouvriers dès que l'une des catégories est attaquée ou prend
l'offensive; dans beaucoup de cas, il n'est même pas besoin d'une résolution
acceptée par tous les travailleurs intéressés, il suffit que le syndicat
annonce sa volonté d'entrer en grève, pour que la majorité des ouvriers suive
le mot d'ordre; même un syndicat minoritaire est rarement abandonné par les «
companeros » s'il se trouve en lutte. Au cours des dernières années
seulement, des raisons purement politiques ont provoqué des abstentions et des
divisions. Il est à noter que les syndicats n'ont pas de fonds de chômage et
ne paient guère des indemnités aux grévistes.
Les
organisations ouvrières. - Le pourcentage des ouvriers syndiqués est des
plus élevés : sur 6 millions d'ouvriers, plus de 2 millions adhéraient aux
syndicats au temps de la République. Même sous la dictature, on évaluait le
pourcentage des ouvriers syndiqués à 10%. En 1934, au comble de la répression,
la Sûreté estimait le nombre des cotisants dans les organisations ouvrières
à 3 millions, contre un demi-million dans toutes les organisations de droite.
Chacune
des grandes centrales syndicales comptait 1 million d'adhérents. Tandis que
l’UGT (socialiste) se développe d'une façon continue, la CNT
(anarcho-syndicaliste) subit de grandes fluctuations, si bien qu'elle groupe
parfois plus d'ouvriers que l'organisation rivale, parfois moins. En dépit de
son importance numérique, le mouvement espagnol possède un faible effectif
d'employés d'organisations. Chez les anarchistes, les leaders rentrent toujours
dans les rangs; l'on a vu Durruti, au temps où il exerçait les fonctions de général,
faire la queue, écuelle en main, pour recevoir sa soupe ; bien qu'on puisse
considérer comme exagérée une telle précaution contre la suprématie des
chefs, ces attitudes n'en déterminent pas moins le caractère de ce mouvement.
L'UGT
exerce son influence prépondérante, surtout dans la capitale : l'industrie la
plus importante y est le bâtiment, où le syndicat réformiste domine (ces maçons
ont continué les travaux à la Cité universitaire en octobre, lorsque l'ennemi
était déjà presque aux portes de la ville). En outre, les syndicats réformistes
ont organisé les travailleurs agricoles dans les provinces de Badajoz et de
Caceres, les greniers d'Espagne, et à Tolède, tandis que l'influence
anarcho-syndicaliste prévaut parmi les ruraux misérables de l'Andalousie;
Murcie est anarchiste, Jaen est socialiste. La Catalogne, ébranlée par les
agitations révolutionnaires, a un prolétariat anarchiste (en 1868 déjà,
Bakounine comptait 30 000 adhérents à Barcelone ; mais pour une certaine catégorie
de marxistes, l'anarchisme n'est que l'affaire des immigrés murciens). Au pays
basque, au contraire, où les conditions sont plus proches des pays industriels,
les socialistes dominent a côté des catholiques. Parmi les'mineurs, dans les
Asturies aussi bien qu'à Huelva, les deux tendances se balancent. Les employés
et les contremaîtres suivent plutôt l'UGT, et celle-ci fut également
l'organisation préférée des classes moyennes qui, en 1936-1937, se voyaient
obligées d'adhérer a un syndicat. Les syndicats communistes n'ont jamais été
très nombreux et se voyaient obliges de solliciter leur admission à l'UGT en
1934-1935. En Catalogne, le POUM dirigeait quelques syndicats dissidents. Les «
jaunes » n'ont jamais pu jouer un rôle, si modeste fût-il.
Juan
Andrade a dressé un bilan assez défavorable à la bureaucratie ouvrière de
l'UGT. Il dit notamment que les fonds provenant des cotisations étaient employés
pour entretenir un nombre exagéré de fonctionnaires. Mais les chiffres qu'il
cite - 1 100 000 pesètes par an - sont faibles en comparaison avec les chiffres
correspondants dans d'autres pays. S'il est vrai que Caballero a touché 5 000
pesetas par an, ce chiffre doit paraître modique.
D'autre
part, il est vrai que la bureaucratie ouvrière profitait du manque de
fonctionnaires républicains pour cumuler plusieurs emplois administratifs. La
propagande des Droites a reproché à Caballero son traitement de 50 000 pesetas
et a cité nommément des fonctionnaires qui avaient obtenu leurs places par
l'entremise du parti socialiste. A la vérité, ce parti déplorait qu'il ne
comptât pas parmi ses militants un nombre suffisant d'hommes capables d'occuper
des places administratives. Pour combattre le caciquisme, il aurait fallu
submerger de socialistes l'administration et développer les organismes
d'auto-administration. Isolés qu'ils étaient, les quelques fonctionnaires
socialistes n'étaient que des éléments de l'Etat cacique.
Mais
quoi qu'on en dise et bien qu'on puisse critiquer les chef socialistes à maints
égards, on avouera qu'ils n'ont pas manqué de courage ni en 1934, ni en
1936-1937.
Action
directe et action indirecte. - Le mouvement ouvrier s'est développé sur
deux lignes, dont l'une remonte à la vieille tradition du Cid, du guérillo ou
brigand. L'idéalisme de Don Quichotte qui part pour combattre le mal, est
toujours vivant dans le peuple espagnol.
Borkenau,
dans son exposé lumineux de la pensée anarchiste, insiste sur la collusion
entre la haute moralité puritaine des narchistes et la négligence des valeurs
morales du code pénal. Au sein de la « fratrie » la propriété est sainte,
en dehors d'elle, ni l'anarchiste ni le garde civil ne respecte la propriété
de l'ennemi. Quiroga a appelé les anarchistes « des bandits munis d'un carnet
syndical », Jesus Hernandez les a qualifiés de « tribu » ; ces constatations
ne sont même pas la moitié de la vérité ; la réalité est que dans aucun
autre pays le peuple opprimé tel quel, s'est organisé en marge des partis.
L'anarchisme se rapproche sensiblement de la notion du prolétariat chez le
jeune Marx qui y a vu « l'humanité déshumanisée » à la quête d'un nouvel
humanisme.
En
effet, dans un Etat où la majorité de la population est obligée de vivre en
marge de la loi, les limites entre le criminel et le héros libertaire sont
difficiles à tracer. Si l'ouvrier qui défend ses droits et le paysan qui ne
veut plus supporter l'injustice sont considérés comme criminels, si personne
n'a assez de moyens légaux pour se faire entendre, tout le monde est rebelle.
La légalité étant exclue de l'action économique, le choix parmi les moyens
illégaux ne se fait plus au point de vue moral, mais au point de vue du succès:
voilà la fameuse « action directe ». Ses formes sont le sabotage, l'attentat,
la grève, surtout la grève générale, le coup de main, l'occupation de
terres, et toute une série de démonstrations inconnues dans les autres pays
d’Europe, et qui, parfois, sont d'une ingéniosité singulière. C'est ainsi
que les employés du tramway à Barcelone ont mis en marche un wagon brûlant.
Dans beaucoup d'occasions, les paysans ont brûlé les titres de propriété
rurale; les ouvriers agricoles ont occupé les mairies pour empêcher les
autorités de communiquer avec le gouvernement central, etc. En outre, on se
sert du poste de travail pour favoriser l'action syndicale ou politique: les
employés des postes et télégraphes ont travaillé depuis la fin de l'année
1930 pour les chefs républicains emprisonnes; en 1936, ils ont surveillé les
communications des factieux et ont pu prévenir le gouvernement de leurs plans.
La CNT possédait, en outre, des comités de défense.
La
grande mystique de cette action est la grève générale qui ébranle tout le
système de la société. La moralité anticapitaliste s'affirme, le prolétariat
fait l'exode au Mont Aventin. Méconnaissant cet état d'esprit, les socialistes
ont voulu empêcher la grève par l'arbitrage. Plus encore qu'une lutte pour
telle ou telle revendication concrète, la grève est l'affirmation de la force,
de la mentalité et de la moralité des ouvriers. Depuis la « semaine sanglante
» de Barcelone en 1909, où les ouvriers ont débrayé pour protester contre la
guerre marocaine, en passant par les grandes grèves révolutionnaires de
1918-1919, jusqu'aux luttes contre la dictature, il y a toute une série de grèves
générales, accompagnées d'actes d'héroïsme et suivies de répressions
tragiques. Des centaines d'ouvriers ont dû quitter le pays, des milliers
remplissaient les prisons, et chaque année, on comptait des douzaines de morts.
Le prolétariat ne bénéficiait d'aucun quartier et ne donnait pas de repos à
ses adversaires. Pendant la dictature, le nombre des grèves, s'élevait à 100
par an, avec 50 000 à 70 000 grévistes, en dépit de l'interdit ; dans les
premières années de la République, on comptait 200 000 ouvriers faisant la grève,
et en 1933, il y eut plus de mille grèves avec 840 000 ouvriers intéressés.
40 % de ces grèves atteignirent leur but immédiat. Un nombre considérable de
grèves politiques ne figure pas dans la statistique.
L'entente
entre les ouvriers de différentes opinions politiques se' fait facilement sur
le plan syndical; les ouvriers UGTistes ne sont pas opposés pas principe à
l'action directe; ils approuvent les CNTistes qui combattent les jaunes et les
briseurs de grève par la terreur. La CNT, d'autre part, a sollicité le droit
de signer des conventions collectives. En 1934, CNT et UGT ont lutté ensemble
dans les Asturies ; en 1937, ils ont réagi ensemble à l'encontre de
gouvernements anarcho-socialiste et socialiste-républicain. Au front,
d'ailleurs, il n'y avait pas de différends. Ce qui entrave l'unité n'est que
la jalousie politique. Les chefs socialistes accusent des conflits insensés voués
à l'échec; les anarchistes, de leur côté, traitent de « briseurs de grèves
» les UGTistes qui ne suivent pas le mot d'ordre de grève générale. En
effet, il y a des charges sérieuses. Les chefs socialistes, par exemple, ont
agi de façon à retirer à la CNT la faculté de conclure des conventions
collectives. Lors de la grève contre la Cia Telefonica madrilène, le ministre
Prieto a promis à la société' une indemnité pour chaque jour de grève à
condition qu'elle n'entre pas en pourparlers avec la CNT. De telles pratiques
ont largement contribué à semer parmi les travailleurs la méfiance à l'égard
de la politique ; l'échec des socialistes en 1933 n'a eu aucun rapport avec la
situation de la guerre de classes: les ouvriers qui se battaient, jour après
jour, épaule contre épaule avec les anarchistes, contre la police républicaine,
ne suivirent plus les mots d'ordre du parti socialiste que les conservateurs
considéraient comme le plus décidé à combattre les émeutes.
L'action
directe se heurta à cette autre tendance du mouvement socialiste, le réformisme
marxiste. Les origines castillanes de ce mouvement, auxquelles Madariaga en fait
remonter le sens des responsabilités politiques, se sont jointes à l'expérience
de la législation sociale et au développement moderne de la côte Cantabrique,
pour substituer le représentant politique à l'ancien Robin Hood anarchiste.
Cette tendance prétendait arracher à la bourgeoisie et aux hobereaux (avec si
peu de succès durable) l'indemnité de chômage, l'assurance sociale,
l'arbitrage des conflits sociaux, en un mot tout ce qui est le domaine du
mouvement gradualiste et réformiste dans les autres pays. (Le mouvement
primitif espagnol est essentiellement opposé à toutes ces revendications; les
anarchistes pensent que l'assurance contre le chômage porte préjudice à leur
lutte pour le droit au travail.) Ce réformisme ouvrier ne s'intéressait guère
aux questions de doctrine. Pour imposer des améliorations aux patrons
patriarcaux, il comptait se servir de tout moyen utile, quelle que fût la
constitution de l'Etat. Dans ce but, Largo Caballero a essayé de collaborer même
avec Primo de Rivera. En effet, dans sa lutte pour le progrès « à l'européenne
», le dictateur, combattant à tour de rôle les bourgeois, les classes
parasitaires et l'armée, comptait trouver un support chez l'UGT. Avec les ébauches
d'un droit du travail, des arbitres, des lois sur l'assurance, le dictateur a
cru pouvoir utiliser le mouvement socialiste contre la bourgeoisie républicaine;
l'attitude indécise de l’UGT à l'égard de la conspiration maçonnique de
1930 n'était pas la seule cause qui ait retardé l'avènement de la République;
mais cette attitude, inexplicable aux yeux des syndicalistes français, ne démontre
que l'indifférence à l'égard de la politique qui est commune à tous les
milieux socialistes et syndicalistes espagnols.
Un
autre exemple de cette confusion dans le camp réformiste était l'avènement à
la présidence de l'UGT, en 1931, de l'équipe d'extrême droite
(Besteiro-Saborit) qui, sous le couvert du mot d'ordre gauchiste « pas de
contact avec la bourgeoisie », combattit la participation socialiste au
gouvernement.
D'autre
part, Caballero, qui était secrétaire du Travail dans le cabinet de Primo de
Rivera est « de gauche » maintenant. La vérité est qu'il n'était jamais républicain
et démocrate dans le sens occidental. Son théoricien, Luis Araquistain,
regardait l'idéal socialiste comme indifférent à l'idéal républicain.
Malgré
les grands efforts des réformistes, la République, elle non plus, n'a pas gagné
le coeur de l'ouvrier espagnol. Les syndicalistes se servaient des avantages de
l'arbitrage et des comités mixtes; mais ils s'en méfiaient en même temps. Ils
préféraient un ministre socialiste à un ministre agrarien, mais ils ne
respectaient ni la police, ni la loi, même commandées par des socialistes. Ils
ont vote pour le Front populaire, mais ils n'ont pas attendu la formation d'un
ministère pour libérer les prisonniers et pour occuper les champs. C'est dire
qu'ils n'ont pas accepté ce qui est l'essentiel de l'enseignement gradualiste
dans les autres pays: l'action politique parlementaire, le respect de la loi et
l'action dans là légalité. Le mouvement ouvrier n'a pas considéré l'Etat républicain
comme « son » Etat. La tendance réformiste des dirigeants est républicaine,
les ouvriers ne le sont pas. Dans l'affirmative comme dans la négative, le
mouvement espagnol reste apolitique. C'est pourquoi les deux actions ont été
utilisées alternativement ou conjointement, mais jamais l'une ne l'a été à
l'exclusion de l'autre.
Au
cours des derniers mois de la République, cependant, on a remarqué un courant
nouveau. L'UGT avait surclassé, avec 1500 000 adhérents, la CNT qui était en
léger recul. Les milieux anarchistes commençaient déjà à s'inquiéter d'un
nouvel état d'esprit « matérialiste » des ouvriers qui semblaient préférer
la lutte pour le pain quotidien à la lutte révolutionnaire. Surtout après la
défaite anarchiste de décembre et après les élections de février, on
remarqua dans le sein même de la CNT un courant, le trentisme qui avait fait
preuve d'un penchant pour le « modernisme » de Primo et qui, en 1932, s'était
séparé de la CNT pour former le « Parti syndicaliste ». Pestana, mort en
1938, était le chef ouvrier le plus « européen » de l'Espagne.
En
effet, malgré le caractère violent de certaines grèves et occupations, les
ouvriers étaient disposés à reconnaître l’Etat actuel, tel qu'il se présentait
à leurs yeux sous forme d'un gouvernement Front populaire. Ils étaient encore
loin de considérer l'Etat comme « le leur », mais ils s'éloignaient aussi de
la « moralité révolutionnaire ». Le syndicalisme apolitique, aussi révolutionnaire
qu'il soit, est toujours susceptible de se transformer en réformisme
syndicaliste. Bien qu'il ne renonce pas à ses moyens de l'action directe, la «
violence » sorelienne ne creuse plus une tranchée infranchissable entre lui et
l'Etat.
Cette
évolution qui s'était déjà ébauchée en 1931, époque où elle fut contrariée
par les mesures antidémocratiques du gouvernement républicain, venait se
joindre, en 1936, aux forces démocratiques du Front populaire, mais elle
progressa à une allure moins rapide que le désir des réactionnaires de
restaurer l'ancien désordre espagnol. Le 19 juillet prouva d'ailleurs que le
moral révolutionnaire n'avait pas souffert de cette évolution.
Le
marxisme. - « Les masses étaient supérieures aux chefs », dit Maurin, en
parlant de l'initiative révolutionnaire. Mais elles manquaient de chefs
capables de coordonner leur activité spontanée et de lui donner des buts déterminés
et de la cohésion. Ce décalage entre l'action des masses et l'action des chefs
découle d'une raison sociologique: les masses n'aspiraient pas à la même
chose que les chefs; les ouvriers étaient rebelles tout court contre la société
existante, leur philosophie était celle du Mouvement tel quel, leur mythe celui
de la Liberté (avec majuscules); les chefs ou révolutionnaires professionnels,
par contre, s'orientent vers un but précis. La République par exemple, ou une
constitution soviétique.
La
différence apparaît au plus clair lorsqu'on examine les divergences entre le
parti socialiste et les syndicats, ou celles entre le marxisme et l'anarchisme.
Le parti socialiste était positivement intéressé à la République, l'UGT,
comme nous l'avons vu, ne l'était point; Caballero était ministre de la
dictature en tant que président de l'UGT; d'autre part, Besteiro, qui fut président
de cette organisation dans les premières années de la République, s'opposait
au républicanisme socialiste. Les anarchistes qui voulaient embrasser le tout
de la révolte humaniste des masses, cultivaient les mythes, vertus et défauts
correspondant à cette attitude et demeuraient hostiles à toute doctrine; les
marxistes, au contraire, cultivaient le mythe de l'organisation et de la
discipline et s'armaient d'une doctrine rigide qui leur permettait de diriger le
mouvement confus vers des buts limités mais déterminés. La différence entre
« l'étatisme » marxiste et l'anti-étatisme » anarchiste n'est donc pas une
différence théorique, c'est la conséquence de deux facons différentes de
vivre, de deux attitudes socialement bien définies. « Ils font l’Apocalypse,
nous devons organiser la révolution », dit Malraux.
Le
problème des marxistes « politiciens » consistait donc à utiliser les
mouvements spontanés des masses plus ou moins bakounistes, de les conduire et
de leur imposer des buts à atteindre. Après l'expérience de cinq années de République,
on peut dire que cette tentative a échoué. Le divorce qui existe entre l'Etat
et le peuple s'est prolongé dans le divorce qui subsiste entre les partis
marxistes et les ouvriers.
En
1936, une lutte âpre s'était engagée entre la nouvelle « gauche » de
Caballero, redevenu président de l'UGT, et la présidence du parti socialiste,
menée par Pena, le leader des mineurs asturiens, et Prieto. Ces derniers préconisaient
la coalition avec les républicains, élaboraient des plans économiques (dans
le cadre de l'économie espagnole, la qualification de « grands travaux » y
conviendraient mieux) et s'opposaient aux grèves inconsidérées. Besteiro en
était déjà à une conception corporatiste, tandis que Prieto, plus habile,
n'en parlait qu'en termes républicains. Les « Gauches », qui pouvaient se
vanter d'avoir conservé intacte l'organisation pendant les années de
dictature, réclamaient maintenant le socialisme de nos jours. L'expérience républicaine
avait conduit le socialisme enthousiaste au carrefour réaliste: abandon de la
lutte de classe au profit d'un corporatisme républicain ou révolution
socialiste. Cette lutte faisait rage au sein des réunions socialistes, lorsque
l'adversaire vint trancher la question.
Le
premier pas vers une nouvelle conception de la lutte ouvrière chez les
socialistes fut la création des alliances. Sous leur cri de guerre « UHP »
(Unissez-vous, frères prolétaires »), elles ont créé un nouveau mythe de la
révolution. Cette nouvelle orientation vers une démocratie des masses
laborieuses trouva cependant un adversaire inattendu: le parti communiste vint
opposer aux alliances ouvrières des alliances ouvrières et paysannes qui dans
la pratique n`étaient qu'une entente des chefs de différentes organisations.
A
l'opposé des syndicats, les partis marxistes étaient plus nombreux. Le partis
socialiste comptait 60 000 militants, le parti communiste tout au plus 20 000 en
février et, d'après l'organe du parti, le chiffre était monté à 50 000 en
juillet 1936. Le Parti socialiste unifié de Catalogne (PSUC) formé par l'union
des communistes, des socialistes et de deux autres groupes, n'était qu'une
addition de zéros, qui s'ajoutait aux autres partis fantômes de la Troisième
Internationale. En Catalogne, quelques groupes de dissidents communistes (dont
les trotskistes qui s'étaient séparés de Trotski) s'étaient réunis avec
d'autres organisations régionales dans le Parti ouvrier d'unification marxiste
(POUM). Ce parti possédait des noyaux à Lerida (ville natale de son leader
Maurin), à Barcelone et ailleurs, mais n'ayant pas su liquider ses éternelles
querelles avec les syndicats, il était relativement isolé en 1936. Par contre,
il revendique l'honneur d'être l'initiateur des Alliances ouvrières.
L'insuccès
du marxisme en Espagne est dû à la rigidité de son enseignement et à une
interprétation fallacieuse du matérialisme historique. L'Espagnol aime
l'action spontanée et généreuse. La rebellion anticapitaliste et humaniste;
il ne tient ni à cette idée occidentale du progrès par laquelle le marxisme
lie la révolution du prolétariat a celle de l'humanité, ni à cette
discipline et technique de la révolution qui est la facon de vivre chère aux léninistes.
«
Le mythe d'un prolétariat foncièrement révolutionnaire est une invention de
non-prolétaires. Nous autres ne croyons pas à un instinct infaillible de
classe; nous trouvons des hommes de bonne volonté et qui sont capables de se
sacrifier pour un idéal de justice dans toutes les situations économiques; et
ces hommes et femmes sont de notre classe, de la classe de la révolution, celle
qui, à la tête de l'humanité, s'achemine vers la terre promise du socialisme.
Sur l'idée de classe se cimente facilement l'idée de la dictature... Si réellement,
le fameux instinct de classe existait, on ne comprendrait pas comment la
bourgeoisie arrive à faire protéger ses privilèges par une bureaucratie et
une police constituée de prolétaires salariés... Le divorce entre les
facteurs du travail - le travail manuel et la science technique - serait une
catastrophe... La révolution est une ceuvre de justice qui ne connatt pas de
classes; nous sommes révolutionnaires pour l'amour de la justice et parce que
nous haissons l'iniquité quelles qu'en soient les causes. Nous aspirons à un régime
social sans privilèges ou l'idéologie de classes n'ait pas de raison d'être.
Parce qu'on a négligé d'éclairer les classes moyennes sur la communauté des
intérêts de tous les travailleurs, elles sont devenues un réservoir du
fascisme... »
(Santillan.)
Le
marxisme représente l’Europe dans ce pays si peu européanisé. Le théoricien
marxiste ne cadre pas avec la « révolution du peuple »; il est certainement
plus proche du réformateur éclairé du type jovellanos, Primo et Azana que de
l'ouvrier espagnol. Les actes historiques du prolétariat espagnol ne se sont
pas inspirés du marxisme, ni d'aucune autre théorie; ils proviennent de
sources beaucoup plus sentimentales. Pourtant, le marxisme s'assigne pour tâche
de lier ces mouvements des profondeurs au but historique qu'il a reconnu nécessaire
et salutaire. Si, au lieu d'accomplir ce travail, il est resté isolé, c'est
qu'il n'a su renoncer à participer au vieux jeu de la politique espagnole, ce
qui est le cas des communistes, ou qu'îl s'est tenu par trop étroitement à
des formules toutes faites, ce qui est arrivé aux troskistes.
Méthode
cacique et méthode révolutionnaire. - Nous avons dit que le marxisme représentait
l'élément étatiste dans le mouvement ouvrier. La méthode épousée par les
chefs socialistes et communistes était donc celle du pronunciamiento vieux
style espagnol.
C'est
ainsi qu'en 1930, lorsque le mouvement révolutionnaire grandissait, les
socialistes ne s'occupaient que du pronunciamento. Ils travaillaient l'opinion
des officiers, ils s'accordaient avec les vieux leaders bourgeois, dont Zamora,
ministre du roi-,ils répartissaient déjà les sièges ministériels, mais ils
ne firent rien pour appeler à l'action le prolétariat. Ils renonçaient à la
révolution, dès que les chefs bourgeois y avaient renoncé. Les officiers de
Jaca se virent abandonnés et trahis, les dirigeants syndicaux n'ayant pas déclaré
la grève... sous prétexte que, c'était vendredi 13 et que les ouvriers
n'avaient pas encore recu leurs salaires. En effet, ils avait tout prépare pour
présenter une constitution républicaine, à un peuple ébahi, mais ils préfèrent
l'échec du pronunciamiento au risque de voir les masses accomplir la révolution.
Le peuple n'était pas prévu dans la révolution et le pronunciamiento fut
ajourné dès que l'armée s'était désolidarisee des héros de Jaca.
Caballero
commit la même faute en 1934. Il prépara un pronunciamiento d'avant-garde sans
préparer les masses. Il pensait certainement que sa propre conversion à la méthode
révolutionnaire devait suffire pour sauver la démocratie espagnole. Il n'avait
pas encore appris que l'organisation des masses doit se conformer, elle aussi,
aux besoins de la révolution. L'esprit révolutionnaire n'apparaît, le jour de
la révolution, que s'il réside dans l'organisation même des forces révolutionnaires;
l'armée révolutionnaire ne se constitue pas en marge de la lutte des classes,
tels un organisme spécial. Lutte de classes et conquête du pouvoir ne
sauraient être séparées sans entraver l'oeuvre de la révolution. Les formes
des organisations ouvrières doivent être à la base et de l'armée révolutionnaire
et du gouvernement révolutionnaire qui en surgit.
Or,
cette organisation révolutionnaire était acquise dès 1934, en marge des
centrales des partis, dans les Alliances ouvrières. En Russie, en 1905, les
soviets se forment, au-delà des partis, rassemblant le prolétariat dans la
lutte; en Espagne en 1933-1934, les Alliances ouvrières deviennent les noyaux
de la lutte, où se cristallise la volonté d'action prolétarienne. Ce que fut
le soviet pour la Russie, l'Alliance ouvrière le devint pour l'Espagne. En mars
1934, le premier succès des Alliances est la grande grève de Madrid, suivie
d'une grève de sympathie à Barcelone, déclenchée en marge de la CNT, voire
contre la volonté de cette centrale. Durant toute l'année 1934, de grandes grèves
partielles et générales se produisent, celle de Saragosse dura plus d'un mois.
Les communistes et les anarchistes se voient obligés d'adhérer aux Alliances;
la Fédération anarchiste des Asturies engage une âpre discussion pour obliger
ses coréligionnaires dans les autres régions a suivre son exemple. La «
Commune asturienne » n'est pas l'oeuvre d'un parti ni d'une mystique, elle est
dirigée par un comité à composition paritaire formé par les mineurs.
L'Alliance ouvrière était en même temps l'organe de lutte et l'organe de
transformation sociale, ainsi que l'avaient été les soviets en 1905 et en
1917. Le mot d'ordre de « soviets » ne signifie rien en Espagne, parce qu'il
ne répond à aucune réalité de la lutte. Les mots « Alliance ouvrière »,
« Syndicats » et UHP disent tout au prolétariat espagnol, parce qu'ils
renferment toute la vie de l'ouvrier et toute sa lutte.
Le
parti communiste réformé. - Dès 1935, le parti communiste avait changé
de tactique: un manifeste publié au commencement de cette année disait encore:
« Les ouvriers n'ont rien de commun avec cette République. »
De
là au Front populaire, le long chemin fut parcouru en moins de six mois, Au
commencement de 1937, le parti communiste, dans le « plenum » de son Comité
central, adopta un autre manifeste, où il déclara :
«
La consigne de la République démocratique et parlementaire de type nouveau et
de nouveau contenu social est la consigne sous laquelle il faut rassembler les
ouvriers et tous les Espagnols qui ne sont pas traîtres à leur patrie, qui
veulent sauvegarder l'indépendance nationale... Le prolétariat et le parti
communiste combattent en premier lieu pour la cause de l'indépendance
nationale, pour la sauvegarde de nos droits et libertés démocratiques et les
intérêts matériels et culturels de tout le peuple, accomplissant ainsi leur tàche
historique. »
Le
parti communiste a pu accomplir cette volte-face grâce à sa discipline et grâce
à sa ferme organisation qui le distinguait de tout autre parti.
Ses
militants étaient soumis à une discipline rigoureuse, en échange de laquelle
ils pouvaient être sûrs de tout le secours matériel et moral de la part de
leur organisation. Le militant communiste, séparé de toute autre société, en
est réduit à obéir à son parti, parce que l'exclusion du parti le prive de
tout. Ce parti était moins qu'un « gang », mais plus qu'une franc-maconnerie.
C'était un ordre. Le parti placait ses militants aux postes importants dans le
commandement de l'armée, dans les syndicats, dans l'administration. Les
communistes groupaient les hommes plus décidés, les plus actifs; quiconque les
a vus à l'oeuvre ne put s'empêcher d'admirer la netteté de leurs décisions,
la précision de leurs mouvements, bref le caractère militarisé des militants.
Ils avaient l'avantage de ne pas être gênés par des scrupules d'ordre idéologique:
si les anarchistes n'ont cédé que malgré eux aux nécessités de la guerre,
les communistes savaient que la militarisation de la vie sociale pendant la
guerre devait leur donner plus de pouvoir et d'influence. A un moment oú tous
les autres nageaient encore dans l'enthousiasme de la révolution spontanée,
ils étaient les premiers à préconiser la formation d'une armée régulière
et à insister sur la constitution d'un gouvernement fort. Décidés d'en finir
avec l'indolence espagnole, c'étaient eux qui rendaient à la population le
sentiment de pouvoir sortir de la pagaille et qui lui donnaient les moyens
d'organisation nécessaires à cette oeuvre. Durruti pouvait faire obéir ceux
qui lui étaient dévoués, mais les communistes savaient obtenir la discipline
de tous les miliciens: d'abord par la propagande de la discipline, puis par la
peur, enfin la terreur.
Les
chefs militaires et les membres de l'administration vantent l'intelligence des
communistes, leur habileté de se conformer à la situation de guerre, leur sens
d'ordre et de discipline. Les anciens chefs, qui, au début, par crainte des
bolchevicks, inclinaient plutôt pour l'anarchisme, changeaient bientôt d'avis
et s'orientaient vers le communisme par crainte de l'anarchie. Les masses
petitesbourgeoises qui redoutaient le communisme au début, lui étaient
reconnaissantes par la suite et le considéraient comme sauveur dans leur détresse
économique, morale et politique.
Ceci
dit, on comprendra facilement le changement survenu au bout de trois ou quatre
mois de guerre et qui étonnait les adversaires du PC autant que les
observateurs peu familiers des lois sociologiques: le parti communiste jouissait
d'une autorité incontestée dans les milieux petits-bourgeois, dans les milieux
dirigeants et administratifs, et parmi les ouvriers apolitiques. Quiconque
considérait la guerre comme la tâche suprême du mouvement, dirigeait ses
regards vers le parti communiste; ceux, au contraire, qui étaient attachés à
la cause de la révolution en arrivaient à le hair. En effet, les communistes
s'adonnaient à la tâche de reconstruire la République déchue et écrouée;
ils décurent ceux qui considéraient l'Etat comme la racine de tous leurs maux,
mais ils redonnèrent l'espoir à ceux qui considéraient l'Etat comme garant du
bien-être et de la sécurité.
Le
parti communiste a montré qu'une organisation minoritaire, bien décidée à
exercer le pouvoir « à tout prix », même celui de renier le programme du
parti, peut noyauter toute l'organisation militaire et politique d'un pays.
Certes,
la fortune des communistes était due, dans une proportion importante, à
l'influence russe. Mais ramener tout à « Moscou » n'est pas moins stupide que
ramener le succès de Hitler à l'argent de Thyssen. Dans les deux cas, le
pouvoir fut conquis par une méthode bien étudiée et qui fut favorisée par un
vide dans l'organisation nationale.
Parlant
sociologie, c'est-à-dire laissant de côté les idéologies justificatives, le
parti communiste espagnol représente un « fascisme de gauche », caractérisé
par sa structure et par son action: il n'est pas comme le mouvement socialiste,
un parti des masses qui veulent agir elles-mêmes, mais un parti de masses qui délèguent
leur pouvoir à des troupes de choc et se contentent d'acclamer ceux qui
exercent le pouvoir réel; il agit moins par les masses que par le noyautage de
l'Etat et des fonctionnaires; il organise sa machine exécutive en marge de l'idéologie
qu'il professe; ses mots d'ordre concernent les moyens plutôt que le but; il
est hostile à la révolution et à l'auto-administration des masses; ceux qui
le suivent sont loin de représenter le prolétariat et ses aspirations séculaires.
La terreur qu'il exerce n'est pas la terreur de masses, caractérisée par
l'action directe et spontanée, niais la terreur policière qui engendre des
actes de sadisme. (Voir note 3 du chapitre 8.) Il est hors de doute que les
communistes, s'ils avaient gagné le pouvoir, auraient été les seuls capables
d'installer en Espagne un régime dictatorial de type progressif et efficace, à
l'instar de la première conception mussolinienne, et à l'opposé des partis de
droite espagnols, qui, en raison de leurs liens avec l'ancien régime, ne
seraient jamais capables d'accomplir une oeuvre utile d'organisation.
Les
communistes ont, d'ailleurs, rendu publique eux-mêmes la conversion au
communisme de plusieurs personnalités en vue du mouvement phalangiste, et
Humanidad, l'organe de Companys, se plaignait que « ces gens se servent
toujours des méthodes qu'ils ont employées à l'époque où ils étaient
fascistes».