«Los hombres que son hombres No se doblegan ya Quieren
trabajo y honra Esclavitud jamas. Por esa hemos hecho Esta revolucion Para tener
siempre Trabajo y union.»
Guerre tripartite. — Le
lendemain des élections, les ouvriers agricoles, craignant de voir se produire
le vieux jeu parlementaire dont les résultats avaient été si pauvres, se préparaient
à prendre ce qu'on leur avait promis. Dans les provinces de Tolède et de
Badajoz, les syndicats dirigèrent l'occupation et conclurent des contrats avec
l'Institut; on créa des communes d'ouvriers agricoles: les yunteros
s'installèrent dans des fermes individuelles. Le retour à la terre fut
le mot d'ordre de tous les chômeurs industriels, le retour à la propriété
fut la consigne de tous les cultivateurs, fussent-ils ouvriers ou paysans; en
Andalousie, les maires socialistes obligèrent les hobereaux à réembaucher les
ouvriers congédiés pendant le «Bienis Negro»; on marcha vers le but primitif
des ruraux, qui consiste à assurer à chacun d'entre eux la jouissance entière
de son travail et de sa propriété.
Les généraux, pour qui la propriété ne signifie pas le
droit au travail mais la mainmise sur le travail d'autrui, jugent à juste titre
que le régime de la propriété était menacé.
Mais l'insurrection changea tout: ceux qui, selon la loi
de réforme, ont droit à une indemnisation, se voient, maintenant, menacés de
l'expropriation pure et simple comme rebelles, selon la loi coutumière de
l'Espagne. Le peuple, après avoir achevé la police, se charge de cette
besogne; un peu partout, les hobereaux sont sommairement tués, expropriés,
chassés, ou simplement ignorés, selon la région et les conditions locales.
Personne n'a besoin d'inviter les paysans à s'emparer des biens fonciers, ils
le font de leur propre chef, brûlant les archives et les livres de cadastres et
enlevant les démarcations de propriété. Ils commencent à redistribuer les
terres communales ou à les travailler en commun, selon l'organisation prévalant
dans la région ou dans le village; en quelques endroits, les milices tuent des
paysans ayant montré des sympathies de droite et des paysans riches. Ces
mesures, légitimes en état de défense républicaine, sont nocives comme
mesures de prévention; elles sèment la méfiance entre les paysans de différentes
opinions politiques. Ces événements, pour regrettables qu'ils soient,
indiquent pourtant que la guerre idéologique est doublée d'une guerre de
classes. Les ruraux comprennent que l'insurrection ne se dirige pas contre la République
mais contre eux-mêmes; et ils entendent défendre la cause qui leur est chère,
la cause du peuple appauvri et opprimé contre tous ses oppresseurs et
exploiteurs. Autrement dit, ce que le peuple veut faire, ce n'est pas la guerre
mais la révolution.
Les gouvernements Giral et Companys, si soucieux de légaliser
toutes les transformations politiques, se gardent bien de légaliser
l'occupation de la terre. Ils n'appellent pas le peuple à répondre à la
guerre par la révolution. L'Esquerra catalane refuse de ratifier les lois
agraires qu'elle avait demandées à Madrid,
Nous avons vu, au chapitre VII, qu'à cause de cette défaillance
la victoire rapide leur a échappé: la révolution à l'arrière, Franco et ses
mercenaires auraient été réduits á l’impuissance. Par la faute du
gouvernement, une chose étrange se produisit: la révolution agraire devint indépendante
de la défense républicaine; la cause de l'armée républicaine étant différente
de celle des partisans paysans, la guerre devint tripartite. C'est ainsi que la
révolution agraire se poursuivit dans les deux camps, bien distincte de la
guerre des républicains avec les militaristes, et que les paysans ne parvinrent
pas à identifier leurs aspirations avec celles de l'un des adversaires. Dans le
territoire nationaliste, il s'est produit peu ou prou la même chose que chez
les républicains: les paysans menaient une guerre à eux.
Antonio Ruiz Vilaplana, secrétaire judiciaire de la ville
de Burgos, qui a vécu une année en territoire nationaliste, relate ce fait intéressant
dans son livre Doy Fe.... Comme toutes les années, il se rendit dans un
certain village, en novembre 1936, pour encaisser les redevances des paysans
envers un de ses clients; mais les paysans lui répondirent que cette année-là,
il n'y avait plus de dettes. «Grâce à Dieu, nous en sommes quittes»,
dirent-ils, et en lui montrant leurs uniformes de «volontaires» nationaux, ils
tenaient des propos que l'on qualifierait de bolchevistes. Il est entendu que
les mercenaires et les Requetes ont vite supprimé des tentatives semblables.
Révolution. - En raison de son caractère
local, municipal et syndical, le mouvement révolutionnaire était confus,
dispersé, émietté, mal ordonné. Les grandes différences dans la structure
de l'économie agraire avant la guerre ne permettaient pas de solution générale,
l'état de maturité du prolétariat agricole plus ou moins avancé rendait
possible toute une gamme de mesures plus ou moins appropriées; le retard des
dirigeants sur les masses augmentait encore la confusion. Ce ne fut que le 7
octobre que le ministre cominuniste de l'Agriculture publia son fameux décret
concernant l'expropriation des terres appartenant aux insurgés et à leurs
familles. Ce décret n'avait rien de révolutionnaire; tous les gouvernements
espagnols ont eu la coutume d'exproprier leurs ennemis politiques; il était
sensiblement en retard sur les événements qui s'étaient produits dans les
villages, puisque les insurgés étaient déjà complètement expropriés et que
dans leurs anciens champs on avait déjà commencé les travaux de culture; il
marqua même un pas en arrière; puisque les paysans avaient exproprié non
seulement les terres des insurgés mais encore celles qui leur semblaient
excessiveinent grandes bien qu'appartenant à des fonctionnaires fidèles à la
République; en outre, ce décret ne disait rien sur la question des baux, rien
sur le transfert des biens, rien sur les modalités du travail et les formes de
la nouvelle propriété. Sa valeur de propagande était minime. Pour éviter
toute équivoque et pour bien marquer le sens non révolutionnaire du décret,
il énumère individuellement chaque hobereau à exproprier.
«C'est plutôt mettre fin à la révolution que de la
faire avancer. Toute expropriation devait être justifiée, dorénavant, par une
procédure judiciaire —avec appel— prouvant que l'exproprié était hostile
au gouvernement. Des terres occupées, qui appartenaient à des libéraux, fidèles
au gouvernement, ne devaient être considérées que comme provisoirement «incautées».
En somme, l'expropriation de 4 086 386 h., appartenant à 46 896 latifundiaires,
fut légalisée jusqu'au début de 1938, en dehors de la Catalogne, de
l’Aragon et des terres occupées illégalement. Les terres expropriées représentaient
15% des terres arables en territoire républicain.»
En Catalogne, toujours plus révolutionnaire que le reste
de la Péninsule, les décrets concernant l'expropriation sont plus nombreux,
leur contenu plus décidé, leur envergure plus générale. Le 14 août, il y
est institué le contrôle des propriétés rurales et des exploitations
agricoles; le 30 août, le syndicat unique par localité agricole et l'adhésion
obligatoire aux syndicats. Dans l'esprit de la CNT, c'était plutôt une mesure
de guerre, ainsi que l'indique ce commentaire de son Boletin de informacion:
«En ces moments, la révolution n’a pas encore
suffisamment d'influence sur certains éléments vacillants dominés par des préjugés
périmés. Il nous faut vaincre cet obstacle par une action énergique et décidée...
Les paysans ne doivent pas oublier que pendant que nos frères réduisent les
factieux les armes en main, nous, armée de l’arrière, devons créer la
nouvelle société... Le Syndicat unique leur indiquera leur tâche.»
Le 8 novembre, une ordonnance prescrit une enquête en vue
d'enregistrer les entreprises collectivisées soit par association volontaire,
soit par suite de la saisie des grandes propriétés, et en vue de connaître
les modalités de leur fonctionnement, c'est-à-dire en vue d'une reconnaissance
juridique de l'expropriation révolutionnaire.
Les petites et moyennes propriétés furent conservées
entièrement dans les villages où la situation géographique, la distribution
de l'eau et les accidents du sol rendent difficile le travail en commun, où les
paysans propriétaires avaient constitué des coopératives d'exploitation et de
consommation et où ils avaient fixé, par l'intermédiaire de leurs comités de
village, les modalités de la révolution. Le partage des terres seigneuriales
fut voté par les paysans de quelques municipalités où la petite propriété dépendant
de la grande villa ne donnait pas satisfaction au petit exploitant
(Catalogne du Nord, Castille, Murcie, Albacete); l'exploitation collective par
les métayers et maisonnettiers voisinants fut décrétée par les comites des
milices sur tous les domaines dont l'étendue et la culture unique s'y prêtaient
(Andalousie, Valence). La collectivisation intégrale fut instituée sur les
domaines travaillés par des compagnies d'ouvriers et dans les villages où les
paysans consentaient à faire l'expérience du travail en commun, soit sur le
domaine de l'ancien seigneur (Andalousie), soit en réunissant leurs petits
lopins (Catalogne, Aragon). On s'assurait donc l'utilisation des machines
modernes facilitant le travail de grande envergure. Dans quelques villages, la
collectivisation consista en la formation d'une coopérative. Là où la petite
propriété subsistait à côté des grandes propriétés «incautées» par le
syndicat ouvrier et métayer, on réunit dans une coopérative ces deux secteurs
de la production viticole, le syndicat des cultivateurs d'un côté, le domaine
collectif de l'autre.
Le congrès paysan de la CNT, qui eut lieu le 5 septembre
1936, préconise les mesures suivantes:
«Procéder à la collectivisation de la terre de manière
que les petits propriétaires n'aient à aucun moment à souffrir de notre
action et de ses conséquences... On respectera en principe la culture privée
des terres qu'ils peuvent travailler de leurs propres bras, Aucune obstruction
ne sera rencontrée dans le développement des centres qui sont collectivisés,
Nous avons la conviction que sans contrainte, par l'exemple que donnera la
collectivisation, on obtiendra le changement de la culture au moyen de la mécanique,
de la chimie et de la technique...
Toutes les terres expropriées seront contrôlées et
administrées par le syndicat et cultivées collectivement au bénéfice direct
des syndiqués.
Le syndicat exercera également le contrôle de la
production, ainsi que de l'acquisition des produits nécessaires aux petits
propriétaires qui, Provisoirement, continueront à cultiver directement comme
il est dit cidessus....
Le commerce se fera exclusivement par l'intermédiaire du
syndicat qui fixe les prix.
Les syndicats de chaque village s'efforceront d'amener à
eux avec leur assentiment les autres paysans du village et de leur faire
admettre les normes libertaires. S'il y a la possibilité d'établir la
collectivisation sans danger de se heurter aux difficultés que nous avons
signalées, on devra procéder à l'établissement de la collectivisation immédiatement
et d'une façon totale. Si la majorité des paysans de la localité ou
simplement quelques-uns d'entre eux ne partagent pas ce point de vue, on
respectera l'exploitation des petits propriétaires.... On complétera la libération
des campagnes par l'installation de fermes collectivisées où seront mis à
contribution tous les avantages qu'offre l'élevage moderne. L'électrification,
l'urbanisation, l'assainissement, l'irrigation, le nivellement, le drainage,
etc., seront les stimulants pour convaincre tous les paysans... Laisser la plus
grande liberté à chaque localité pour le choix de la forme et du moment
favorable à la suppression des accords antérieurs.
Nous considérons comme nécessaire et indispensable d'établir
des relations cordiales avec toutes les organisations paysannes de Catalogne qui
acceptent la lutte révolutionnaire.»
Ces résolutions furent confirmées une année plus tard
par la Conférence nationale des paysans de la région de Valence (15 juillet
1937).
D'autre part, il convient de citer au sujet des
collectivisations précitées une critique publiée par Higinio Noja Ruiz dans
la revue anarchiste Estudios:
«Le petit propriétaire ne voit pas avec sympathie l'expérience
collectiviste des syndicats. Il continue à aspirer à une vie indépendante, si
onéreuse soit-elle; il est foncièrement individualiste. Il lutte pour une répartition
équitable de la terre. Cette opinion a fait des adeptes même parmi les
ouvriers qui désirent posséder un lopin de terre à eux.
Les partisans de la collectivisation, de leur côté,
tiennent la vraie position révolutionnaire. La répartition de la terre amènera
tous les inconvénients qu'on a vécus par le passé. Celui qui veut participer
aux conquêtes de la révolution doit se soumettre aux principes de la nouvelle
société.»
Ce conflit se fit jour dans la majorité des villages
lorsque le Conseil économique fut constitué. Il s'en tira d'une façon «salomonique»
en laissant aux paysans le choix d'adhérer aux collectivités, tout en
stipulant que le produit de leur travail passerait par les mains de la coopérative.
La solution serait bonne si on avait indiqué en même temps quelle forme de
culture il fallait adopter. Ses bonnes intentions restaient stériles parce que
c'était précisément la modalité de la répartition qui était en question.
Le plus grand inconvénient était que les collectivités
possédaient plus de terre qu'elles ne peuvent cultiver, tandis que les petits
paysans n'en avaient pas assez. Cela aboutit à une diminution de la production
— ce qui n'est pas admissible. Cette réduction des possibilités productives
est due à l'impossibilité de concilier les deux tendances dans la réalité.
Dans les premières semaines de la révolution, les partisans de la
collectivisation agissaient selon leur opinion révolutionnaire; ils ne
respectaient ni les intérêts ni les personnes. Dans quelques villages, la
collectivisation n'était possible qu'en s'imposant à la minorité. C'est une nécessité
qui se produit dans chaque révolution; mais on a commis l'erreur de ne pas
attirer la minorité vers la pensée de la majorité. Le système, certes, est
bon, et on a fait de bonne besogne en beaucoup d'endroits; mais il est pénible
de voir dans certains autres se créer des antipathies qui sont dues au manque
de tact des collectivistes mêmes.
Nous avons vu que dans beaucoup de villages il n'y avait
pas d'objections sérieuses contre les collectivisations; on admet que ce système
est supérieur à l'ancien système de colonisation; mais on se plaint de la méthode
par laquelle l'expérience fut imposée; là où l'on a collectivisé par le
libre consentement de tous, les relations continuent à être bonnes.
Collectivisation. — Il
n'existe aucune statistique du nombre des exploitations collectivisées au cours
de la guerre; toutefois, on n'est pas loin de la vérité en affirmant qu'en
Aragon la collectivisation était presque complète, qu'en Catalogne le courant
vers la coopération était plus fort que celui qui se dirigeait vers la
collectivisation intégrale et que dans le Levant le mouvement collectiviste était
assez faible. Là, les staliniens formèrent de nouvelles organisations agraires
avec les anciens propriétaires de la CEDA, lesquels ont pris la carte du parti
communiste. Dans tout le reste du territoire gouvernemental, ne furent
collectivisées que les exploitations seigneuriales «incautées» par les
syndicats ouvriers. D'autre part, la coopération frisait la collectivisation en
beaucoup d'endroits où les paysans dépendent d'une usine à sucre, d'une
grande maison de distillerie, de caves, d'un moulin, etc., c'est-à-dire où
l'exploitation individuelle était devenue illusoire depuis un certain temps.
Voici le contrat modèle de collectivisation:
«Tous les membres sont des ouvriers et sont traités sur
le pied d'égalité. — Les biens apportés seront inventoriés, ainsi que les
biens restant à l'usage familial. — Vol, alcoolisme, outrages, absence du
travail, nonaccomplissement de tâches fixées, etc., seront jugés par le comité
et l'assemblée du collectif. — Les économies familiales restent au libre
usage des paysans. — Si le collectif prend en charge les dettes ou un déficit
d'un associé, il reportera ce droit au compte de cet associé qui l'amortira
par les économies qu'il fera. — Chaque associé entre 18 et 60 ans non malade
doit travailler; la collectivité
se charge des malades et des vieux. — Un membre voulant quitter le collectif
doit lui laisser 25 % de son apport. — Les travaux administratifs seront répartis
entre les sociétaires et accomplis après le travail. — Vêtements et
chaussures sont livrés par le collectif. — Les ouvriers industriels voulant
jouir des droits des membres du collectif doivent lui apporter leur salaire. —
Les bénéfices seront employés à améliorer l'outillage, à réaliser des œuvres
culturelles, à permettre aux sociétaires des vacances, — Le collectif pourra
employer de la maind'œuvre étrangère, s'il y a lieu. A moins que les ouvriers
ne veuillent pas entrer comme sociétaires, on s'adressera au syndicat. —
Enfin, il est fixé la rémunération en espèces et en nature à laquelle les
sociétaires ont droit.»
Un contrat pareil, surtout si les paysans gardent leurs
animaux de basse-cour, détermine plutôt une coopérative qu'une exploitation
socialisée.
Partout, la commune prend à sa charge les soins médicaux,
les loisirs, les retraites. Presque partout, le «salaire familial» est
institué: le chef de famille reçoit un salaire d'environ 5 pesetas et en plus
2 pesetas pour chaque personne qui est à sa charge.
A la vérité, les collectivités hâtivement constituées
dans les villages offrent des aspects variant d'une naïveté étonnante à une
maturité inattendue.
Dans un village, on est allé jusqu'à demander aux
paysans de remettre à la commune leurs animaux de basse-cour. Dans les premières
semaines de guerre, un million de poules furent abattues en Catalogne et Aragon,
par suite d'une panique. La Généralité devait interdire l'abattage de
volaille, et le Conseil d'Aragon établit un « plan quinquennal pour l'élevage
de volaille».
Dans une autre commune, les syndicats se sont simplement
installés au bureau et ont continué à exploiter le domaine aux conditions de
l'ancienne convention collective ou d'un nouveau contrat conclu avec les
paysans.
D'autre part, en beaucoup d'endroits, la révolution a
permis aux paysans et aux ouvriers d'entreprendre les travaux de première
urgence: l'adduction d'eau potable, l'irrigation, la construction d'un moulin,
l'application de techniques modernes et l'achat d'un outillage coûteux. Les
coopératives d'achat et de vente sont partout l'œuvre d'une action réfléchie,
les statuts des collectivités font preuve d'un esprit démocratique et égalitaire,
Il y est dit que personne n'est obligé d'adhérer à la collectivité et que
l'entrée reste ouverte à tous ceux qui préfèrent attendre pour se rendre
compte des résultats de la collectivisation. Ceux mêmes qui préfèrent rester
en dehors des communes ne se dérobèrent pas à leur devoir d'aider les milices
dans la lutte antifasciste.
Voici deux exemples pris au hasard: la commune de
Hospitalet près de Barcelone se compose de 200 anciens propriétaires, 550
ouvriers et 200 ouvrières; la presque totalité des ouvriers adhère à la CNT.
Après sa constitution, la commune embaucha 250 ouvriers de plus. Elle possède
15 km2 de superficie répartie en 35 zones techniques. Le travail est
dirigé par un agronome et un délégué syndical. La ferme entretient un bureau
de vente à Barcelone et fait un troc direct avec des collectivités
industrielles et des usines de charbon. Le salaire hebdomadaire des hommes est
de 75 pesetas, celui des femmes de 48 pesetas. A part les installations d'utilité
publique, rien n'est distribué à titre gratuit. La monnaie de la République
circule librement à l'intérieur de la commune. On a acheté de nouvelles
machines et modernisé le travail. Chaque trimestre, les délégués rendent
compte de leur mandat à l'assemblée générale. Tous les artisans de la ville
dépendent du collectif.
Un exemple de type opposé se trouve à Fraga: 40% des
lopins furent mis ensemble pour former une collectivité; mais le travail sur
les autres 60% ne diffère pas beaucoup de celui de la collectivité, étant
donné que les uns gardent un patrimoine familial et les autres n'ont droit qu'à
une superficie qu'ils peuvent travailler avec leur famille. La commune a sa
propre monnaie et veille à la repartition égale de tous les moyens de
consommation. Une description plus proche de la réalité dirait que la ville se
compose de deux collectivités à philosophie contraire, mais à formes de vie
presque égales; chaque groupe a son café, son coiffeur, son médecin, son
forgeron, etc. Le groupe collectiviste administre la plupart des services
publics.
Communisme libertaire. — Fidèles
à leurs idéaux, les anarchistes ne se souciaient guère de ce qui se passait
dans le domaine politique. Dans les campagnes, ils se mirent à réaliser la
nouvelle vie pour laquelle ils avaient lutté pendant un siècle et qu'ils
avaient toujours essayé de réaliser lors des multiples soulèvements. Dans
toute la Catalogne, des communes libres florissaient et en Aragon, où le
vaillant Ascaso dirigeait le Conseil de Défense, on construisait l'anarchie sur
terre vierge, toute la bourgeoisie et les riches paysans étant absents. On
distribuait, grâce à des bons d'achat émis par le Comité, tout ce qui est
produit dans la région. Les services et marchandises achetés en dehors de la
communauté, en revanche, devaient être payes en espèces. Le surproduit non
consommé de la région, d'autre part, fut mis à la disposition des milices ou
envoyé à Barcelone. En outre, on tenait à équiper la région d'un outillage
moderne, d'hôpitaux, d'usine nouvelles, de mines, d'électricité et de téléphone.
Les services professionnels sont collectivisés, c'est-à-dire
que la coopérative organise les petits artisans; pour se faire couper les
cheveux, on va à la coopérative où le coiffeur collectiviste ne met pas moins
de soins à l'exercice de son art qu'aux temps de l'individualisme. Pour se
faire soigner les blessures, on s'adresse à l'hôpital collectivisé — ou
installé récemment par la collectivité dans un ancien couvent — où le médecin
coopératif soigne les pauvres au même prix que les riches, à savoir
gratuitement. Pour avoir une nouvelle robe, on doit attendre son tour ou
justifier son besoin devant le Comité ; le magasin collectivisé sert un nombre
égal de clients tous les jours, selon le plan établi par les deux Comites du
village et de l'usine qui échange les vêtements contre les produits agricoles.
Tout cela est extrêmement simple, et personne ne doute que c'est l'ordre
naturel, la société libérée des imposteurs, des exploiteurs et des
accapareurs. A qui dirait que seule l'économie arriérée permet de faire cette
expérience, on répond que la moralité anarchiste construira la vie nouvelle.
En effet, un quart seulement des Aragonais sont «individualistes», qui n'adhèrent
pas à la coopérative, tout en profitant de ses innovations, On les laisse
tranquilles, mais ils doivent payer leurs besoins personnels et on espère que
cela les convaincra des avantages de la collectivité.
Les collectivités aragonaises répondaient tout d'abord
aux besoins d'égalité. La variété des schémas économiques ne s'explique
pas par des différences dans les conditions locales, mais plutôt par le hasard
qui mettait à la tête des collectivités un homme plus ou moins instruit ou
acquis à tel ou tel système monétaire ou technique. Les communes les plus
prospères étaient sans aucun doute celles qui furent administrées par des
ouvriers syndiqués retournés au village. On trouve même des intellectuels,
avocats libéraux ou conseillers municipaux de gauche parmi les administrateurs
de collectivités; ils excellaient surtout par toutes sortes d'innovations
techniques, des fondations de nouveaux ateliers et aussi par l'ingéniosité
singulières de leurs schémas monétaires, Les ruraux confédéraux suivaient
volontiers chaque technicien s'il se faisait contrôler démocratiquement, et
appliquaient tout plan qui semblât compatible avec l'idéal égalitaire.
Puisqu'on part d'une nouvelle conception de la vie, on se
doit bien de commencer par la civilisation. Partout, les nouvelles écoles, les
bains publics, les hôpitaux sont l'orgueil des communautés. Le souvenir de
Francisco Ferrer préside toujours aux activités sociales.
La liberté est la mère de la civilisation, mais la
civilisation c'est la fraternité. Le collectivisme espagnol ne s'impose pas
pour des raisons économiques, c'est tout simplement la réalisation de la
justice. Qu'on enlève la cuirasse capitaliste qui étouffe l'homme, et on verra
surgir l'homme humain, qu'on démolisse les cloisons individualistes, et on
verra se former la communion. Dans ces collectivités rurales on trouvera incarné
le credo anarchiste qui dit que l'homme est bon et généreux. Le sacrifice suprême
de la vie que ce peuple a offert à la liberté, est complété par cet hommage
suprême à la vie qu'il a réalisé par son élan constructif dans les
collectivités. L'homme s'est retrouvé en édifiant la fraternité, la société
humaine émerge de la lutte pour sa libération. Voila l'événement séculaire
de cette guerre; quand le développement préhistorique de l'humanité aura
abouti au socialisme intégral, quand on aura oublié les gestes des guerres libératrices
et qu'on aura fini d'analyser les illusions et les erreurs des précurseurs,
l'histoire conservera toujours la mémoire de ces adversaires héroïques et
utopistes qui, au milieu d'un monde qui sombre, au milieu de la sauvagerie infâme,
auront sauvé l'image divine de l'humanité.
Tous les observateurs ont été frappés par l'ascétisme
des collectivistes. Borkenau les appelle «anabaptistes», Kaminski s'exclame:
«Ces paysans ne vivent plus dans le système capitaliste, ni moralement ni
sentimentalement. Ou bien y ont-ils jamais vécu?» En effet, l'énigme de ces
collectivités ne sera jamais comprise si l'on ne la dépouille pas de toute
notion moderniste de philosophie politique; elle réside dans la solidarité de
la «tribu», du pueblo, de la famille du village, communauté qui a survécu à
tout système politique et qui émerge à la surface de la société à cette
occasion d'une révolution miraculeuse. Que le socialisme eût su comprendre
cette profondeur anticapitaliste du peuple, il n'en serait pas là où il est.
Je ne peux pas convenir avec Borkenau sur ce que l'anticapitalisme espagnol se
dirige contre le machinisme; Borkenau lui-même admet que les ouvriers agricoles
ont réparé les machines, en 1936, qu'ils avaient détruites en 1934. Je pense
que, comme partout ailleurs, les masses espagnoles n'ont réagi que contre
l'inhumanité du machinisme.
Le règlement général convenu entre les syndicats
agricoles: Rabasseires, CNT et UGT, traçait en grandes lignes le régime de la
propriété tel qu'il existait jusqu'en mai: 1. la terre est propriété
municipale; la municipalité dirige l'expropriation; les collectivités et les
paysans individuels ont les mêmes droits; 2. les paysans individuels sont tenus
à former un office pour le remembrement de la terre. Si des propriétés privées
portent préjudice à l'exploitation rationnelle d'une exploitation collective,
le propriétaire individuel sera invité à échanger son lopin contre un autre
de même valeur; 3. l'exploitation individuelle ne doit pas dépasser le nombre
d'hectares que le paysan peut travailler avec l'aide de sa famille sans avoir
recours à la main-d'œuvre salariée; 4. les grands domaines sont à
exproprier; il est loisible aux petits propriétaires d'établir des unités économiques
avec les domaines avoisinants; 5. les travailleurs peuvent choisir librement les
syndicats auxquels ils désirent adhérer; 6. chaque municipalité organise une
coopérative unique à laquelle doivent adhérer les collectivités et les
propriétaires individuels.
Cette révolution échappait au contrôle des républicains.
Ils criaient à la «collectivisation forcée», Mais les paysans adhéraient en
masse aux collectivités et ce n'était qu'une minorité qui, dans chaque
village, décidait de continuer son existence «individualiste». Certes, si les
90% des travailleurs décidaient d'exploiter en commun un domaine exproprié, il
y eut contrainte pour les 10 %. Au nom de cette minorité les staliniens prétendaient
empêcher la collectivisation partout.
Réaction. — Les représentants de l'Etat républicain
mettaient tous leurs efforts à obtenir la rupture des collectivites librement
installées dans les biens expropriés; ils y firent entrer des gens de droite
qui minaient l'harmonie de la collaboration et réclamaient la répartition des
bénéfices. Cette dernière, attisant les jalousies, entraîna inévitablement
le morcellement des terres qui, ensuite, furent acquises par les anciens propriétaires.
Les délégués de l'Institut pour la réforme agraire eux-mêmes mirent aux
enchères les mules et les juments, les charrettes et les semences des
collectivités.
De l'autre côté, l'Etat ne fit rien pour organiser
l'agriculture sous un plan à elle. Voyant qu'il fallait faire des efforts pour
stimuler le travail agricole et pour mettre les nouveaux propriétaires en état
d'exploiter les fermes expropriées, on se contenta d'accorder des crédits aux
paysans et d'acheter les excédents pour les stocker. De cette façon, l'on
arriva à resserrer les liens entre les agriculteurs et leur ministre au détriment
des organisations révolutionnaires.
La réaction guettait le point faible de la révolution,
et ce n'était pas d'au-delà des tranchées que partit le coup mortel, mais du
dedans de la forteresse assiégée.