J’avais lu et admiré, dès sa
parution au début de 1939, à Paris, le livre qui est réédité aujourd’hui.
Il s’appelait alors Espagne: creuset politique et il était signé
d’un pseudonyme: Henri Rabasseire. Pseudonyme rendu nécessaire pour
des raisons de sécurité, car l’auteur, un intellectuel allemand réfugié en
France en 1933 pour échapper au national-socialisme, de son vrai nom Henri
Paechter, craignait pour ses parents demeurés en Allemagne.
Le livre, après avoir consacré
un bref rappel à la première révolution, celle de 1931, qui remplaça la
monarchie par une «république sans révolutionnaires, une monarchie sans le
monarque», traite de l’authentique révolution, celle qui riposta en juillet
1936 au putsch franquiste. Il s’arrête au lendemain des journées tragiques
de Barcelone, en mai 1937, date où à la guerre civile révolutionnaire succéda
la guerre internationale «en laquelle», selon l’auteur, la guerre civile a dégénéré»,
Dès lors, Henri Paechter s’applique à démontrer comment la guerre dévora
la révolution. Leit-motiv qui fournit son titre au dernier chapitre de
l’ouvrage et que le présent éditeur, en accord avec la veuve d’Henri
Paechter, s’est permis de substituer à l’ancien titre, estimé
aujourd’hui imprécis et inadéquat.
L’originalité de cette thèse,
à l’époque où elle fut soutenue, me frappa vivement. Je devais
d’ailleurs, plus tard, la réadapter dans les deux tomes de mon ouvrage la
Lutte de classes sous la Première République (1946, refondu en 1968).
J’y exposai avec preuves à l’appui comment la guerre de défense révolutionnaire
qui battit son plein en 1793 se trouva dévorée par une guerre classique,
d’essence et de composition bourgeoise, une guerre non plus de défense révolutionnaire
mais d’expansion extérieure, menée non plus par des militaires plébéiens
mais par de futurs maréchaux d’Empire, et dont les victoires seront des défaites
pour la révolution sans-culotte.
C’est déjà dans cette optique
que je consacrai une émission radiodiffusée au livre de Rabasseire-Paechter,
le 15 avril 1939. Commentant l’analyse de l’auteur, je soutins que ce fut
surtout la nécessité devant laquelle se trouva bientôt engagée la République
de mener une véritable guerre qui précipita la résurrection du vieil Etat.
Faute d’avoir poussé la révolution jusqu’au bout en laissant se développer
les collectivisations industrielles et agricoles, «le gouvernement républicain
laisse l’initiative passer du côté des insurgés et désormais il doit subir
la véritable guerre que lui impose Franco (...) L’esprit de la révolution était
presque incompatible avec l’organisation militaire (...) Le mythe de la
victoire se substitua à la volonté révolutionnaire».
Au cours d’un long séjour aux Etats-Unis, en 1947-1948, j’eus la chance de renouer avec Paechter, devenu universitaire américain, si bien qu’il me fut possible, après son décès en 1980, de correspondre avec sa veuve et de la mettre en rapport avec mes amis des Cahiers Spartacus.