« La victoria del pueblo equivaldra a la muerte del
capitalismo.»
(Décret du 17 octobre 1936.)
La Révolution. - L'héroïsme des ouvriers catalans et la
force de leurs organisations étaient vainqueurs du militarisme insurgé.
L'enthousiasme emportait toute la population vers la libération intégrale dans
les journées glorieuses des 19 et 20 juillet. La société catalane se délivra
de l'oppression politique et sociale. L'Etat et ses organes, la magistrature, la
police, l'armée, l'administration, tout ce monde disparut avec les fonctions
qu'il avait exercées ; beaucoup de patrons, d'ingénieurs, une partie du
personnel dirigeant, les hobereaux et leurs caciques s'enfuirent. D'autres
furent appréhendés par les ouvriers et miliciens pour être traduits devant un
tribunal révolutionnaire. Le rapport du Syndicat unique de l'industrie textile
barcelonaise estime que 10% des patrons ont accepté de continuer le travail, 40
% « furent éliminés de la sphère sociale » et 50% s'enfuirent.
Extraite de « Estampas de la revolución espanola 19 julio de 1936 »,
édité par les Bureaux de la Propagande de la CNT-FAI, 1936.
Le peuple était debout comme un homme pour achever ses
ennemis. La société des travailleurs de toutes classes, soumise pendant des siècles,
était déchaînée. Ouvriers, paysans, petits artisans, intellectuels et même
une grande partie des classes aisées marchaient ensemble pour combattre
l'ancienne machine oppressive et pour construire une nouvelle société basée
sur le travail et la liberté. Sans égard aux opinions politiques, toute la
Catalogne se réunit sous le mot d'ordre de la liberté intégrale. Avec les
milices, qui partirent pour la conquête de l'Aragon, la Catalogne ouvrière et
paysanne se leva pour conquérir une nouvelle vie sociale.
Le vieux régionalisme catalan, tant de fois soulevé
contre l'Etat central, le républicanisme antimilitariste et le mouvement
ouvrier réalisent l'alliance révolutionnaire. Les anarchistes, qui dominent
les villes, renonçant à la dictature et faisant preuve d'un esprit démocratique,
admettent la constitution d'un Comité central des Milices antifascistes, où
toutes les forces ouvrières et républicaines sont représentées.
Les ouvriers organisent des patrouilles de contrôle dans
les rues et des comités de contrôle dans les lieux de travail, équipent des
milices, séquestrent les entreprises et établissements d'intérêt public et
commencent à « incauter » les entreprises privées. Les paysans affluent vers
Barcelone pour collaborer de toutes leurs forces économiques et syndicales - à
la création de la nouvelle Catalogne.
Les vêtements bourgeois disparaissent de la rue ; tout le
monde se donne un aspect ouvrier ; les autos de la FAI circulent à une vitessse
incroyable ; on salue à la UHP, le poing levé. Les organisations ouvrières
s'installent dans les hôtels confortables de la bourgeoisie, dans les immeubles
des grands trusts ; les milices partant en guerre défilent dans les rues par
longues colonnes, chaleureusement saluées par une foule enthousiaste. On se félicite,
on s'embrasse, on chante l'hymne anarchiste. On tient des meetings, des conférences.
On travaille dans une atmosphère fiévreuse de guerre et de révolution. On
enterre les héros tombés sur les barricades. On enrôle les volontaires dans
les milices ; on célèbre la débaptisation des casernes, où les nouvelles
recrues s'exercent. On installe des écoles et une université dans les
couvents, d'où on chasse les parasites ; on brûle les objets du culte devant
les églises ; on expose les cadavres qu'on arrache des reliquaires pour montrer
aux superstitieux ce qu'ils sont en réalité. On met à la disposition des
milices et des syndiqués les restaurants populaires alimentés grâce aux soins
des comités paysans. On distribue les vivres saisis chez des commerçants qui
comptent profiter de la situation pour faire monter les prix.
Companys, cependant, s’amuse d’une manière qui paraît
imbécile à la bonhomie des miliciens. Tandis que tout le monde se hâte de cacher les titres et
enseignes, il décrète que son titre d’Honorable sera changé en «Excellence».
Il «décrète» la surveillance des prix ― dans les magasins qui
n’osent pas ouvrir; il «décrète» la réouverture des banques ― qui
sont poliment invitées à alimenter les caisses des milices; il «révoque»
les conseils municipaux ― dont les sièges sont occupés par des membres
des comités locaux des milices; il «met en vigueur» la réforme agraire votée
en 1934 ― alors que les paysans ont déjà chassé les seigneurs. Bref, il
fait comme dans le conte d’Esope la mouche qui «aide» le bœuf à la
charrue.
La
Généralité est généreuse; elle accorde aux ouvriers la semaine de 40
heures, une augmentation de 15% sur les salaires et l’assistance sociale. Les
miliciens n’en veulent pas; les anarchistes exhortent les ouvriers à ne pas
vendre la révolution; les syndicats prévoient que l’augmentation des
salaires causera des difficultés aux entreprises collectivisées. Les comités,
entre temps, procèdent à l’«incautation».
Si
la révolution ne fit pas grande attention à l’ancien Etat, elle changea de
beaucoup le régime de la propriété. Les principaux moyens de production
furent saisis par les syndicats, les coopératives agricoles, les municipalités,
les comités de toute sorte. Les anciens patrons devinrent les salariés de
leurs ouvriers. Les biens de consommation seuls restaient dans le domaine privé,
et ceux-ci mêmes ne s’obtenaient plus en quantité suffisante en marge du régime
collectif des syndicats. Le bon pour vivres que les commerçants se voyaient
obligés d’accepter en guise de paiement les mit sous le contrôle des
organisations et comités qui s’étaient charges de rembourser ce billet.
Furent «incautés» dès la première heure: les transports urbains et le
chemin de fer, le monopole du pétrole, les ateliers de montage des automobiles
Ford et Hispano-Suiza, les docks et armatures, les centrales électriques, les
grands magasins, les théâtres et cinémas, les usines métallurgiques
susceptibles de fabriquer des armes, les comptoirs d’exportation des produits
agricoles, les grandes caves, etc.
L’«incautation»
pouvait prendre la forme juridique de la propriété municipale
1,
celle d’un contrat avec l’ancien propriétaire2,
elle pouvait être l’expropriation pure et simple
3
ou ― pour les entreprises étrangères ― sous réserve
d’indemnisation ultérieure4,
elle pouvait consister en la cession à un organe de l’Etat5,
ou en la désagrégation d’un trust6;
dans tous les cas c’était les producteurs qui prenaient en charge la
gestion des affaires par l’intermédiaire d’un comité de direction ou de
contrôle composé de représentants des deux centrales syndicales, dressaient
des plans d’amélioration et de rationalisation du travail, installaient des
services hygiéniques, des écoles, traitaient avec les organisations syndicales
de vente ou de consommation.
1.Propriété bâtie.
2. Industrie du verre.
3. Communications, gaz, eau.
4.
Hispano-Suiza.
5.
Industrie de guerre, chemins de fer.
6. Caves Codorniu.
50 000 ouvriers furent embauchés dans des usines
nouvellement construites. On ne trouve guère une usine où le rendement ne fut
amélioré, des nouvelles techniques ne fussent utilisées, des plans de
coordination ne fussent discutés.
Une grande effervescence se fit jour autour des problèmes
qui se posèrent à la suite de ce changement de direction. De tous les côtés,
on sortit des plans de production et de distribution, des schémas
d’organisation sociale, des systèmes plus ou moins appropriés de représentation
ouvrière et de contrôle, des appels à l’ordre et à la discipline.
La fédération barcelonaise des syndicats CNT préparait,
dès les premiers jours, un «Comité de coordination industrielle», mesure
qu’on avait négligée dans le reste de l’Espagne.
Tous
les fils de ce nouvel ordre se réunirent dans le Comité central des milices
antifascistes, qui créa des sous-comités économiques responsables de toute
l’activité commerciale et industrielle de la région. Les attributions de ces
comités de plus en plus élargies par suite de la nécessité de coordination
inter-industrielle, imposèrent la création d’un comité particulier, le
Conseil de l’économie, le 11 août. Ce Conseil, bien que légalisé par un décret
de la Généralité trois jours après, agissait en marge du gouvernement et de
sa Commission de l’industrie de guerre créée le 12. Il était composé de
trois membres de l’Esquerra, un membre de la Accio, un Rabasseire, un
poumiste, un communiste, deux anarchistes et trois représentants de chacune des
deux centrales syndicales. Ce Conseil a formulé ses objectifs dans une déclaration
publiée à l’issue d’une de ses premières séances:
«Réglementation
de la production suivant les nécessités de la consommation... et en stimulant
la production des nouvelles industries que, par suite de la dévaluation de la
peseta, il sera utile d’installer dans notre Pays. ― Monopole du
Commerce extérieur. ― Collectivisation de la grande propriété agraire,
qui sera exploitée par les syndicats des paysans avec l’aide de la Généralité
et adhésion obligatoire au syndicat des producteurs agricoles qui exploitent la
petite et la moyenne propriété ― Dévalorisation partielle de la propriété
urbaine. ― Collectivisation des grandes industries, des services publics,
des transports. ― Saisie et collectivisation des établissements abandonnés.
― Extension du régime coopératif dans la distribution; exploitation coopérative
des grandes entreprises de distribution. ― Contrôle ouvrier des opérations
bancaires allant jusqu’à la nationalisation de la banque. ― Contrôle
syndical ouvrier sur toutes les industries qui continuent à être exploitées
en régime privé. ― Résorption par l’agriculture et l’industrie des
chômeurs: revalorisation des produits agricoles, retour aux champs des ouvriers
qui pourront être absorbés par la nouvelle organisation du travail agricole,
création de grandes industries pour fournir des articles manufacturés
difficiles à importer, électrification intégrale, principalement des chemins
de fer. ― Impôt unique.»
Ajoutons
à ce programme la nationalisation du petit artisanat de la métallurgie, si
nombreux et vivant une vie si précaire en Catalogne prérévolutionnaire, la création
de tout un réseau d’écoles élémentaires et professionnelles, la
collectivisation du théâtre et du cinéma. Une révolution économique et
sociale se déroula dans un ordre parfait, sans porter aucun préjudice à la
production et même en augmentant le rendement ou en abaissant les prix ou
tarifs. Le taux
de l’intérêt fut abaissé et le moratoire des hypothèques et dettes pour
six mois accordé aux petits producteurs. Le régime bancaire et financier fut organisé de façon
à faire face aux besoins de la guerre et à supprimer les combinaisons louches
imaginées pour soustraire le capital au nouveau régime.
Le double gouvernement.―
L’évolution politique est en retard sur les réalisations économiques. A côté
du Comité central et du Conseil économique, le gouvernement de la Généralité
continue sa vie, crée de nouveaux services et départements en marge du pouvoir
révolutionnaire, décrète ce qu’il ne peut pas empêcher ― mais il ne
décrète pas l’«incautation» qu’il juge incompatible avec son existence
―, délimite ses pouvoirs accrus vis-à-vis du gouvernement central. Les organisations révolutionnaires s’en servent pour
destituer les anciennes municipalités de jure, pour libérer la
Catalogne de l’emprise de la capitale, et la Généralité, de son côté, se
sert des réalisations régionalistes pour accroître et maintenir son autorité
vis-à-vis du Comité central.
Une
première tentative de restituer toute l’autorité gouvernementale à la Généralité
en formant un ministère avec le PSUC échoue sous la pression de la CNT. La Généralité
réussit cependant à s’attribuer certaines fonctions; elle prend en charge la
gestion du monopole des pétroles, elle s’approprie les postes de TSF ―
aussitôt les organisations ouvrières installent chacune un poste privé
―; elle surenchérit sur les réalisations économiques ― grâce à
cette surenchère les citadins catalans bénéficient d’une réduction des
loyers de 50 % ―, elle se constitue partie civile dans les procès que
l’on fait aux rebelles et crée les jurys populaires qui substitueront un procédé
ordinaire à la justice des milices; elle combat la hausse et les accapareurs, déclare
nulles toutes opérations bancaires effectuées après le 19 juillet, se fait
remettre tous les dépôts et réserves d’or, de devises étrangères et de
valeurs; se bat ― vainement ― avec le gouvernement central afin
d’obtenir les sommes nécessaires pour faire face aux besoins de la guerre et
aux échéances du commerce extérieur, saisit les documents, archives, papiers,
etc., ayant trait à la propriété
privée agraire et industrielle ― et en empêche ainsi la destruction;
elle s’approprie le contrôle des mines et des fabriques d’armes; décrète
une nouvelle division territoriale basée sur les unités économiques
naturelles ainsi que l’a proposée le Conseil économique.
La
situation financière était grave. De juillet à novembre, la Généralité
avait 9 400 000 pesetas de recettes et 213 100 000 pesetas de dépenses. Le
Bureau régulateur du paiement des salaires consentit des prêts s’élevant à
44 000 000 de pesetas aux entreprises contrôlées, la Caisse officielle
d’escompte et de pignorations en distribua pour 35 000 000 de pesetas, de
juillet à novembre 1936. Ces deux organismes furent créés en toute hâte pour
financer les opérations nécessaires. Devant la nécessité de poursuivre la
marche de la victoire en Aragon et d’apporter l’aide militaire au
gouvernement central, de se procurer des armes et des munitions, de subvenir aux
besoins de la population en face d’une exportation tombée à zéro, la
Catalogne se croyait justifiée de demander au gouvernement de Madrid
l’autorisation de tirer sur la Banque d’Espagne à concurrence de 180 000
000 de pesetas. Au lieu de répondre, le Trésor d’Etat mit la Délégation
des Finances à Barcelone en demeure de lui verser 373 000 000 de pesetas. En août,
la vieille querelle régionaliste rebondit.
En
cette circonstance, considérant que le pouvoir ouvrier n’existait qu’à
l’état d’embryon, la seule autorité susceptible de résoudre le conflit était
la Généralité et son gouvernement. En effet, les 27 et 28 août, le
conseiller aux Finances mit la main sur la Banque d’Espagne en Catalogne. Marx
a dit que les communards de Paris s’étaient privés d’un précieux otage en
craignant de toucher à la Banque de France. Eh bien! La saisie de la Banque fut
grave de conséquences. Le gouvernement central, après avoir repondu par la
saisie de 36 000 livres sterling d’avoirs catalans à Paris, devint docile et
valida les opérations effectuées par la Généralité, mais l’accord
intervenu entre les deux pouvoirs n’était valable que pour le gouvernement de
la Généralité.
C’est
de ce jour que date la reprise du pouvoir gouvernemental en Catalogne. Citons
Fabregas, le délégué de la CNT au Conseil économique, qui a délcaré
notamment:
«Nous
avons un grand nombre d’industries non rémunératrices; d’autre part, nous
sommes obligés de construire de nouvelles usines d’utilité publique. Le
Conseil a établi un plan pour la redistribution des efforts productifs. Pour réaliser
ce plan, il nous faut de l’argent, et nous sommes décidés à le prendre où
il est... La machine économique à notre disposition est d’origine
bourgeoise; nous sommes forcés de nous en servir. L’“incautation’’,
etc., ne sont que les premiers pas vers un nouvel appareil économique... Malheureusement,
notre conflit avec Madrid paralyse profondément notre œuvre. Le gouvernement
central détient à lui seul tout le stock or et le portefeuille de la Banque
d’Espagne. Il refuse toute coopération à notre plan de reconstruction économique.
Le
fait que la Catalogne est en avance dans le domaine social a créé une tension
qui aggrave notre situation. Nous avons demandé un crédit... gagé par 1
milliard de pesetas en comptes courants des caisses d’épargne déposés à la
Banque d’Espagne. Tout cela nous est refusé... Sans un trésor de guerre, la
guerre exigerait des sacrifices surhumains qui ne sauraient être maintenus
infiniment. Nous ne pouvons pas vaincre le fascisme les mains nues. C’est
pourquoi nous protestons contre les mesures de sabotage dont nous sommes
l’objet de la part de nos adversaires de tendance.»
On
imagine l’immense pouvoir que s’assurait la Généralité en prenant en
charge la gestion financière de la guerre. Le pouvoir des Comités était
illimité sur le plan politique et militaire, mais pour obtenir le pouvoir intégral,
force leur était de s’accorder avec la Généralité, à moins qu’ils ne préférassent
la renverser en dépit de la menace d’un étranglement financier. Pour se débarrasser
entièrement de Companys et Terradellas, on aurait dû non seulement transformer
une économie exportatrice en économie autarcique, mais encore construire une
économie de guerre. On aurait du refondre les besoins et la production de
l’ensemble des industries ― et cela dans un petit coin de la Méditerranée.
Les trotskistes, tout en niant que le socialisme soit possible dans un pays isolé,
fût-il aussi vaste que l’URSS, reprochent aux anarchistes de ne pas l’avoir
installé en Catalogne.
Ecoutons
le rapport de la Généralité sur le financement des réalisations accomplies
et qui, à notre avis, représentent le maximum de ce qu’on pouvait attendre:
«La
Commission de l’industrie de guerre a improvisé, avec la collaboration compétente,
enthousiaste et dévouée des techniciens militaires et civils, des ouvriers et
des organisations syndicales de la métallurgie, une industrie de guerre d’un
tel rendement qu’elle représentera après la victoire une source importante
de richesse. Ceux qui n’ont pas vu la thaumaturgie de la subite transformation
des usines et des ateliers les plus divers en centres producteurs de matériel
de guerre ne pourront pas se faire une idée de la grandeur de l’effort
accompli, ni de l’importance de la bonne réussite des résultats obtenus.
Mais tout cela a exigé une grande dépense. D’autre part, on n’a pu éviter,
en raison de la désarticulation causée par une transformation si rapide et de
l’enthousiasme frénétique voulant tout réaliser en quelques heures, que la
dépense dépassât le volume strictement nécessaire. Il faut compter encore le
besoin absolu d’acheter à l’étranger les matières indispensables au
fonctionnement de notre économie. Le problème des devises était déjà
angoissant avant la guerre...»
La
«collaboration compétente» en matière financière attirait le pouvoir
ouvrier des Comités vers le pouvoir de l’ancien Etat; la force politique des
ouvriers obligea la Généralité à condescendre à un partage du pouvoir. La
première tentative du pouvoir central de créer une armée en marge des milices
échoua entièrement en Catalogne. Les recrues des classes 33, 34 et
35 qui étaient convoquées se refusèrent nettement aux offices de recrutement
officiels et s’enrôlèrent par milliers aux sièges des organisations ouvrières.
C’est alors que se fit entendre le mot d’ordre: Miliciens oui, soldats
non ! Les organisations syndicales et les partis continuaient à
s’attribuer toutes les fonctions militaires et à organiser l’armée
catalane sous forme de milices. De cette façon, le pouvoir politique restait
aux mains des ouvriers.
Vers
la fin d’août, on s’engagea dans la voie de la collaboration. Le Comité
central fut intégré dans le ministère de la Défense, les divers services des
Comités et du Conseil économique furent fusionnés avec les services des
ministères compétents. Dans chaque ministère, un conseil consultatif et exécutif
composé de représentants syndicaux imposa ses résolutions au ministère. Le
Conseil des ministres se transforma en organisme de coordination.
L’organe
du POUM faisait état de ses illusions, lorsqu’il salua la nouvelle
organisation: elle laissait au gouvernement de la Généralité une autorité
plus grande en apparence, car elle supprimait le second pouvoir révolutionnaire;
mais, en contrepartie, elle transportait le nouveau pouvoir révolutionnaire au
sein même des services gouvernementaux.
Cette
solution, qui correspondait à la situation internationale difficile et au
climat confus de la révolution, ne pouvait, cependant, être définitive. Elle
engendra autant de problèmes qu’elle en résolut.
En
effet, la mobilisation des recrues relevait de la compétence des milices, la
reconstruction économique et sociale de celle du Conseil économique,
l’ancien gouvernement continuait à gérer les affaires financières. Les
ouvriers contrôlaient la politique générale et la guerre, la Généralité
traitait avec Madrid. Le caractère démocratique et général de la révolution,
la confusion des questions régionales, de la défense républicaine, de la libération
des municipalités et de la révolution ouvrière permettait le partage des
responsabilités. Les classes révolutionnaires s’étaient organisées spontanément
dans les milices, les classes démocratiques se firent représenter par le
gouvernement. De plus, les municipalités avaient leurs propres gouvernements,
établis tantôt par l’intervention des milices, tantôt spontanément par les
habitants. Toutes ces formes de gouvernement étaient contrôlées par les
syndicats. La «syndicalisation» de l’industrie et de la terre entraînait
fatalement la syndicalisation obligatoire des hommes. Chacun fut obligé de
choisir un syndicat ou une coopérative, qui lui permit de se procurer les
vivres, le passeport, l’emploi, sa part dans la défense républicaine et révolutionnaire.
C’est ainsi que les couches moins avancées du prolétariat
et surtout les petits artisans et commerçants se ruèrent vers l’UGT,
gonflant cette organisation et altérant sa structure sociale. Sous les auspices du PSUC, on y
admit même le syndicat patronal de la GEPCI. La CNT, elle aussi, vit grossir
ses rangs, mais ce furent plutôt les travailleurs et intellectuels qui vinrent
y adhérer.
Le trait caractéristique de la «collectivisation»
survenue dans l’industrie et l’administration était donc une sorte de
gouvernement partagé entre les syndicats et le président Companys. La plupart
des grandes révolutions voient une ébullition de nouvelles formes
d’organisation populaire créées par des couches toujours renouvelées de la
population qui, tour à tour, surgissent à la surface de la révolution et
imposent à la vie publique des formes politiques et sociales de plus en plus élargies.
En Catalogne, le gouvernement révolutionnaire était effectif dès le premier
jour de la guerre: c’était le double gouvernement syndical et régionaliste.
Dès le premier jour, ce n’était pas la police ni la Généralité, mais les
syndicats et les milices, les partis et leurs patrouilles de contrôle qui rétablissaient
l’ordre dans la rue, mirent fin aux arrestations arbitraires, fixaient les
normes de la vie, à l’opposé de Madrid, où l’Etat se rétablit tout
d’abord parce que c’était lui qui maintenaient l’ordre. Le prolétariat
catalan, sachant créer l’organisation de l’ordre public, montra une maturité
plus grande. Un exemple pour tous: il suffisait que les syndicats émissent le vœu
de voir disparaître les marchands ambulants pour qu’ils disparussent. La
duchesse d’Atholl écrit, sans en donner la preuve, que l’ordre fut rétabli
à Barcelone plus tard qu’ailleurs. Mais les tribunaux populaires réguliers y
fonctionnaient plus tôt qu’en d’autres endroits (Kaminski qui consacre deux
chapitres à la Justice dans son ouvrage, Ceux de Barcelone) C’est
d’ailleurs compréhensible: là où la révolution avait atteint son but, il
n’y avait aucune raison d’y créer du désordre. Seules les révolutions qui ne
donnent pas le pouvoir aux révolutionnaires sont sanglantes.
Le gouvernement mixte.― Aux premières heures de la
lutte, des comités ressemblant à l’organisation de la révolution russe
furent créés. Mais ces
«soviets» étaient mort-nés. La
réalité syndicale et l’autonomie municipale dominaient la vie de la révolution.
Les grands congrès de la CNT et de L’UGT tenaient lieu de Constituante; il
fut décidé, à l’occasion de ces congrès, que le gouvernement de la Généralité
devrait bientôt faire place à un régime purement syndical qui s’appellerait
Junte de Defense. Par ce nom même, on désignait la première tàche du pouvoir
ouvrier, qui serait de combattre le fascisme; toutes les questions de la révolution
devaient être amorcées, mais non résolues, avant la victoire. La CNT lançait
des appels à l’ordre et recommandait à ses adhérents d’ajourner les
revendications immédiates et de concentrer leur vigilance sur les questions
d’organisation syndicale; on élaborait des plans à l’échelle régionale
pour obtenir le plus grand contrôle syndical sur tous les domaines de
l’industrie et de l’administration. Les deux centrales syndicales opposaient
leur plan de syndicalisation ou de «collectivisation» à la «nationalisation»
étatiste. Tout le pouvoir devait passer entre les mains des syndicats. Pour
cette raison, on ne voulait pas de «gouvernement révolutionnaire» et
pas de forme définitive d’administration.
On n’y réussit pas. Nous avons exposé plus haut les
raisons qui amenèrent les organisations ouvrières à prendre leurs
responsabilités au gouvernement. Au lieu de supprimer l’ancien gouvernement, les
syndicats s’y intégrèrent. Le 26 septembre, la combinaison d’un
Conseil de la Généralité se présentait avec ce programme:
«Concentration
maximale des efforts pour la guerre, n’épargnant aucun moyen qui puisse
contribuer à sa fin rapide et victorieuse. Commandement unique, coordination de
l’action de toutes les unités combattantes, création de milices obligatoires
et renforcement de la discipline. ― Reconstruction économique par la mise
en exécution du programme du Conseil économique (suivant les onze points énumérés
ailleurs). ― Etablissement de la culture populaire sous le système de la
Nouvelle école unifiée.»
Le
gouvernement se composait de trois membres de l’Esquerra Catalane: Terradellas
(Finances), Aiguade (Sécurité), Gassol (Culture); trois anarcho-syndicalistes:
Fabregas (Economie), Domenech (Approvisionnement), Garcia Birlan (Santé); deux
communistes: Comorera (Services publics), Valdes (Travail); un Rabasseire:
Calvet (Agriculture); un membre du POUM: Nin (Justice); un membre de l’Action
catalane: Closas (sans portefeuille) et le lieutenant-colonel Sandino (Guerre),
indépendant.
La
Batalla, organe du POUM, remarque que ce
gouvernement ne lui donne pas pleine satisfaction, mais qu’il résoudra avant
tout les problèmes de la guerre, qui priment tout. Solidaridad Obrera
(CNT) se montre satisfaite de ce que la dualité des pouvoirs ne persiste plus
et «s’abstient de faire des critiques méticuleuses». L’aile gauche
du POUM et les Jeunesses anarchistes estiment que le gouvernement réalise un
pas en arrière, puisqu’il rend à l’ancien Etat une autorité qui ne lui
appartient plus. Garcia Oliver regrette qu’une «intrigue politique» ait pu
mettre fin à l’organisation révolutionnaire de la lutte antifasciste. Les
partis républicains et le PSUC se montrent satisfaits du fait de se retrouver
sur le terrain qui leur est familier.
Le
Comité central des milices se dissout. L’évolution révolutionnaire n’est pas poussée
plus loin, mais l’état de choses acquis est stabilisé, Le nouveau
gouvernement s’efforce de contenir les forces révolutionnaires, d’en finir
avec les «petits gouvernements» de Comités, d’établir une autorité civile
et militaire. Le partage des pouvoirs entre les partis régionalistes et les
organisations ouvrières passe de la forme de la dualité à la forme d’une
coalition. Le pouvoir révolutionnaire s’est engagé à respecter le pouvoir légitime
et à poursuivre son œuvre dans la légalité. Ce
gouvernement de coalition conserve les réalisations révolutionnaires en mettant
un terme à la révolution spontanée.
L’initiative révolutionnaire était donc passée des
masses au gouvernement. Plus
tard La Batalla caractérisera l’action de ce gouvernement comme suit :
«Il
créa les tribunaux populaires comme organe judiciaire de l’antifascisme; il
donna des droits politiques à la jeunesse; il vota la loi de collectivisation
des usines pour organiser le ravitaillement de la population, il créa le
conseil de distribution des vivres, qui combatit avec succès la hausse des
prix, les accapareurs et intermédiaires, il organisa les patrouilles de contrôle
qui assuraient le service de la sécurité et conjugaient le pouvoir ouvrier
avec la police, il légalisa la vie des comités grâce à la loi sur les
municipalités; il prépara la création d’une armée révolutionnaire... En un
mot, ajoute ce journal, l’esprit de la révolution fut traduit en loi
officielle de l’Etat.»
Mais le gouvernement mixte fit davantage. Ses décrets rétablirent le
pouvoir de l’Etat:
«7
septembre: la justice militaire est placée sous la contrôle du ministère
public de la justice civile, le 3 octobre, le tribunal populaire de Barcelone étend
sa compétence aux délits militaires.
En
outre: attribution à la Présidence de toutes les fonctions du ministère
public, du droit de grâce, du régime des prisons, etc., qu’exerçait
jusque-là le président de la République espagnole.
1er
octobre: décret créant l’escorte du président de la Généralité.
3
octobre: dissolution du Comité central des milices antifascistes dont les
attributions militaires passent au département de la Défense et les
attributions concernant l’ordre public sont transférées au conseil de la Sûreté.
4
octobre: mobilisation des hommes valides de 18 à 40 ans.
11
octobre: suspension de tous les Comités locaux qui entravaient et rendaient
impossible l’action de l’Etat, Il est fixé un délai pour procéder, dans
toute la Catalogne, à la nomination de nouveaux conseils municipaux. Les
organisations antifascistes locales désigneront les nouveaux conseillers dans
la même proportion que celle existant dans le Conseil de la Généralité.
15
octobre: décret créant quatre tribunaux populaires à Barcelone avec
attributions particulières. Leur rigueur fut telle que le 5 novembre un autre décret
créa un organisme constitué par les présidents des quatre tribunaux ―
qui étaient des juges professionnels ― et deux procureurs généraux
chargés d’examiner les peines de mort prononcées par ces tribunaux.
28
octobre: militarisation des milices, qui seront soumises au Code de justice
militaire espagnol en vigueur avant le 19 juillet.
27
octobre-22 novembre: décrets ordonnant la restitution des armes longues; ceux
qui ne veulent pas s’en séparer doivent s’inscrire dans les unitées destinées
à des services de l’arrière.
16 novembre: dissolution de 3 000 offices juridiques
des organisations révolutionnaires.
4
décembre: le corps des Gardes catalanes est détaché du département de la Sûreté
intérieure ― où dominaient les délégués des milices ― pour être
rattaché à la présidence.
4
novembre-17 décembre: création de l’armée catalane.»
On
voit que toutes ces mesures tendaient à renforcer l’autorité de l’Etat
catalan vis-à-vis des organismes particuliers, soit des municipalités, soit
des organisations, soit des milices. Les ouvriers se sentaient visés par ces mesures et
firent tout pour éviter leur application. Ils se plaignaient de ce que les officiers sortis de l’école
militaire de la nouvelle armée catalane appartenaient à l’ancienne classe
dirigeante ou à la petite-bourgeoisie et ne représentaient pas l’autorité nécessaire
pour gagner la guerre et la révolution simultanément. Ils
tenaient en horreur particulièrement la soi-disant «militarisation» et
l’application du code militaire. On voyait donc naître une grande
effervescence autour du recrutement des volontaires; les syndicats voulaient éviter
la mobilisation des classes. Tant que la seule force de la République était la
milice ouvrière, les réalisations révolutionnaires étaient bien défendues
et il était sûr qu’elles seraient suivies d’autres; l’armée populaire
une fois soumise au commandement de l’Etat et envahie par des éléments
conservateurs, rien ne pourrait assurer la bonne marche de la révolution. En fin de compte, les miliciens réussirent à ajourner
l’application des décrets; les patrouilles ouvrières dans les rues de
Barcelone continuaient à circuler, les gardes républicaines à être noyautées
par les miliciens, l’organisation de l’armée ne changeait guère de
structure. En revanche, les milices établirent un commandement unique
qu’elles confièrent à leur propre chef. Le peuple garda les armes ― le
décret du 22 novembre lui confirma même ce droit ― et le gouvernement ne
cessa d’être soumis à son contrôle. Le gouvernement mixte n’arrivait pas à dissimuler la
contradiction intrinsèque de l’état de double gouvernement qui subsistait
toujours. Tout
dépendait de la forme que prendrait la révolution syndicale.
L’économie
syndicaliste.―
Les syndicats sont les organes exécutifs du gouvernement, et en même temps le
pouvoir qui, dans la coulisse, lui souffle le mot d’ordre; ils dirigent tout
sans assumer la responsabilité, ils sont tout et rien. Le syndicalisme semble
marcher vers le triomphe intégral. La syndicalisation obligatoire des ruraux
est acquise de jure, la syndicalisation des ouvriers est acquise de
facto, et en outre, nombreux sont les petits artisans qui affluent vers
l’organisation syndicale. En octobre, chacune des deux grandes centrales
catalanes compte 500 000 adhérents. Le 22 octobre, un pacte est signé entre
l’UGT et la CNT préconisant les mesures économiques qui doivent assurer la
victoire de la révolution et de la lutte antifasciste; le 24, le décret
concernant la collectivisation de l’industrie est publié au Journal
officiel; le 25, un meeting monstre est organisé à la Plaza de Toros de
Barcelone, où une foule de 50 000 hommes salue les orateurs socialistes,
communistes et anarchistes.
Des
quinze paragraphes du pacte UGT-CNT, nous citons les suivants:
«
Nous contractons l’engagement formel d’exécuter les accords et les décisions
du Conseil de la Généralité. ― Nous sommes partisans de la
collectivisation des moyens de production... de tout ce qui sera nécessaire aux
besoins de la guerre. Cette collectivisation ne donnerait pas les résultats désirés
si elle n’était pas dirigée et coordonnée par un organisme représentant la
collectivité, en l’occurrence le Conseil de la Généralité, où sont représentées
toutes les forces sociales. La petite industrie ne sera pas collectivisée, sauf
s’il s’agit d’éléments factieux et des nécessités inéluctables de la
guerre; dans ce dernier cas, on accordera aux expropriés ce qui assurera leurs
nécessités vitales, moyennant leur contribution personnelle et professionnelle
au département collectivisé. ― municipalisation de toute l’habitation,
excepté la petite propriété urbaine. ― Concentration maximum des
efforts pour contribuer à la fin rapide et victorieuse de la guerre;
commandement unique, création des milices obligatoires transformées en une
grande armée populaire; renforcement de la discipline. La structure de
l’industrie de guerre sera établie par un accord entre les organisations
ouvrières et les conseilleries des Finances, d’Economie et de Défense.
― Nous devons régulariser la production en accord avec les nécessités
de la consommation, déterminée par l’état de guerre dans lequel nous
vivons. ― Contrôle du commerce extérieur par les organismes émanant de
la Généralité. ― La terre appartient à la municipalité et nous
assurons l’exploitation individuelle à ceux qui ne sont pas disposés à la réaliser
collectivement. Les opérations de vente, d’échange et d’acquisition de
produits se réaliseront au moyen des syndicats agricoles, [...] ―
Nationalisation de la banque et contrôle ouvrier des opérations de banques
effectuées par la Conseillerie des Finances s’appuyant sur les comités
d’employés. ― Contrôle ouvrier de l’industrie privée sans que cela
signifie une menace pour la petite industrie. ― Nous croyons que toute la
politique financière et fiscale du Conseil de la Généralité doit
s’orienter exclusivement vers l’objet fondamental de gagner la guerre.
― Culture populaire sous le signe de l’Ecole unifiée. ―
Collaboration politique, économique et militaire avec le gouvernement
d’Espagne, dès que participeront à celui-ci toutes les organisations que
nous représentons. ― Liberté du choix des syndicats et action commune
pour éviter toute espèce de contrainte. ― Liquidation de l’activité
nocive des groupes incontrôlables qui mettent en péril la réalisation de ce
programme.»
Les
termes parfois incommodes et contradictoires de cet accord reflètent la lutte
qui s’est déroulée au sein de la commission entre les syndicalistes purs de
la CNT et l’étatisme marxiste du PSUC, qui dirige l’UGT. Si la CNT
a réussi à y faire figurer presque toutes ses revendications révolutionnaires,
l’UGT et le PSUC ont engagé la CNT à respecter le gouvernement comme corps
exécutif et législatif. En
revanche, la CNT a obtenu ce grand succès que du fait même de la signature de
cet accord le syndicalisme était reconnu comme base de l’organisation
sociale,
Le
décret du 24 octobre sur la collectivisation ordonne:
«Les
entreprises industrielles et commerciales de Catalogne se classent en: a)
entreprises collectivisées, dans lesquelles la responsabilité de la direction
incombe aux ouvriers qui la composent et qui seront représentés par un conseil
d’entreprise, b) entreprises privées, dans lesquelles la direction reste à
la charge du propriétaire ou du gérant avec la collaboration et sous le contrôle
du Comité ouvrier.
Sont
collectivisées toutes les entreprises occupant plus de cent salariés, les
entreprises appartenant à des éléments factieux ou dont les propriétaires se
sont enfuis; des entreprises moins importantes pourront être collectivisées
s’il est ainsi décidé par les ouvriers à la majorité des trois quarts...
Les anciens propriétaires ou gérants seront employés dans la nouvelle
entreprise si leurs capacités techniques ou de gestion les rendront
indispensables. Aucun
ouvrier ne peut être licencié dans une entreprise collectivisée.
Dans les entreprises où des intérêts étrangers sont
affectés, le Conseil de l’Economie convoquera les éléments intéressés
pour traiter et trouver une solution qui assurera la sauvegarde de leurs intérêts.
La
fonction directrice des entreprises collectivisées sera remise à un conseil
d’entreprise, élu pour deux ans en assemblée générale par les ouvriers et
pris parmi eux. Ce conseil sera composé de 5 à 15 ouvriers, les diverses
centrales syndicales y seront représentées proportionnellement à leurs
effectifs respectifs.
Ces
conseils assureront les fonctions des conseils d’administration, en tenant
compte du plan établi par le Conseil général de l’industrie et des règlements
de leurs branches.
Tout
ce qui concerne les marges des bénéfices, les conditions de vente, le
ravitaillement en matières premières, l’amortissement, la constitution de
fonds de roulement et de réserve, la répartition des bénéfices, sera soumis
aux dispositions des conseils généraux de l’industrie.
[...]
Le Conseil nommera un directeur, auquel il déléguera totalement ou
partiellement ses fonctions. Dans les entreprises de plus de 500 ouvriers, ou
dont le capital est supérieur à 1 000 000 de pesetas, ou dont la production
intéresse Ia défense nationale, la nomination du directeur devra être approuvée
par le Conseil de l’Economie.
Fera
partie du Conseil un représentant de la Généralité nommé par le Conseil de
l’Economie en accord avec les travailleurs.
Les
Conseillers seront révocables.
Dans
les entreprises privées, il est créé un Comité de contrôle dans lequel
seront représentés tous les services.
Ses
ressorts seront: a) contrôle des conditions de travail, assurances sociales,
hygiène, discipline de travail, modifications de personnel; b) contrôle
administratif, financier, commercial; c) contrôle de la production.
Les
patrons présenteront aux comités ouvriers de contrôle les bilans et mémoires
annuels qui seront ensuite transmis au Conseil général de l’Industrie.
Il
est créé neuf conseils généraux de branche, à savoir: combustibles, métallurgie,
industrie textile, alimentation, industrie chimique, bâtiment, livre, services
publics, commerce et banques.
Les
conseils généraux d’industrie seront constitués par: quatre représentants
des conseils d’entreprise de cette industrie, huit représentants des diverses
centrales syndicales, quatre techniciens nommés par le Conseil de l’Economie.
Ils
détermineront les plans de travail de l’Industrie et régulariseront la
production de leur branche. Leurs décisions seront exécutives.
Ils
seront en contact avec le Conseil de l’Economie et règleront leurs actes sur
les décisions de ce Conseil, lui rendant compte de la marche de leur branche économique.»
On
voit que cette loi donne aux syndicats la plus grande influence sur la gestion
des affaires, et dans l’usine même et dans les organismes centraux de régularisation.
Par décret du 22 novembre, le contrôle de la distribution fut confiée également
aux syndicats. Il s’ébauche un socialisme des producteurs, où ceux-ci mêmes,
par l’intermédiaire de leurs organisations, déterminent toute l’activité
économique du pays. L’économie catalane sera dirigée, non par un organisme
étranger au peuple, mais par les intéressés. L’Etat n’apparaît, à la
lumière de ce décret, que comme simple organisme de coordination, et est lui-même
noyauté par les syndicats qui siègent dans tous ses départements délibérants
et exécutifs. La Catalogne devait-elle se confondre avec le syndicalisme intégral?
Pour achever cette œuvre, l’Etat aurait dû disparaître entièrement;
or, on était en guerre.
La
révolution agraire.―
Dès le 6 août, trois semaines après la victoire, la loi catalane de 1934,
dont nous avons signalé l’importance dans l’insurrection d’octobre, est
remise en vigueur «pour servir de point de départ à la future législation
agraire»: la Catalogne se réserve encore le droit à la révolution. Le 14
août le moratoire des prêts hypothécaires est déclaré et le taux d’intérêt
abaissé à 4%. Le 4 septembre, un décret est promulgué contre l’usure. Le
21 octobre, le commerce extérieur est pris en charge par l’Etat catalan.
«La collectivisation des très grandes propriétés
vient à point pour maintenir et stimuler les petites exploitations agricoles.
Qu’il soit bien compris que cette mesure ne signifîe pas que nous cherchons a
freiner le mouvement révolutionnaire du peuple, mais au contraire qu’il
s’agit là d’une garantie pour la masse campagnarde. Celle-ci peut être persuadée que la révolution ne
signifie pas la diminution de ses droits et de sa liberté. Le vrai devoir de
tous les révolutionnaires est précisément d’offrir aux masses agricoles
tous les recours et toutes les garanties possibles, en créant un esprit de
confiance.» (Décret du 30 août.)
Le
gouvernement laissa à l’ouvrier le choix de rejoindre une collectivité ou de
rester chez le patron ― qui est un petit propriétaire en Catalogne, les
grands étant expropriés ― mais il oblige tout le monde, ouvriers et
propriétaires, à adhérer à un syndicat qui s’occupe de ravitailler le
village en vivres et en moyens de production et d’écouler les marchandises
produites. De cette façon, entière liberté devait être assurée à chacun,
et en même temps, le paysan devait jouir du fruit de son travail. Le syndicat
assure la vente et la rémunération et supprime les usuriers et mercantis. En décembre
1936, le conseiller à l’Agriculture, le vigneron Calvet, stoppa les mesures
de collectivisation en décrétant:
«Les
terres affermées à des cultivateurs directs ou constituant un patrimoine
familial, et dont l’étendue ne dépasse pas la capacité d’exploitation
d’une famille, ne pourront être socialisées, ni changer de propriétaires
sans autorisation préalable.»
Cette mesure devint nécessaire pour arrêter les
collectivisations forcées qui aliéneraient les paysans à la révolution.
Le
décret concernant la «syndicalisation» obligatoire définit les buts des
organismes qu’il crée: réglementer la production et la distribution, ainsi
que la transformation des produits agricoles, subordonner la production aux nécessités
de l’approvisionnement de la population, garantir au cultivateur une juste rémunération
de son labeur; établir des organismes auxiliaires, tels que le crédit
agricole, l’assurance mutuelle et l’achat en commun; administrer les
exploitations saisies par le gouvernement à la suite de l’insurrection.
L’œuvre accomplie.―
L’«incautation» des usines devait s’accompagner d’une organisation
technique et économique nouvelle au point de vue tant social que militaire. Avec les milices étaient partis
les premiers camions blindés; avec la réorganisation des milices la
fabrication de matériel de guerre s’imposait. Ce fut l’œuvre des syndicats
ouvriers; personne ne les aidait dans cette dure tâche qui demandait une rude
abnégation. La CNT
avait délégué Eugenio Vallejo, du syndicat de la métallurgie, pour mettre au
point l’industrie de guerre; il s’installa dans les ateliers de la Société
d’automobiles Hispano-Suiza et sous son instigation, on travailla jour et nuit
à la tâche commune. Des ouvriers CNT collaboraient avec des ouvriers UGT,
oubliant toutes les anciennes querelles de doctrine, pour apprendre la nouvelle
technique et en tirer le plus grand rendement possible. La Commission des industries de
guerre, constituée au sein du Conseil économique, sut s’assurer les services
des meilleurs travailleurs de Catalogne, tant des techniciens que des
organisateurs. Les syndicats y apportèrent leur expérience et leur compétence.
Le résultat de ces initiatives coordonnées est susceptible de laisser rêveurs
les stakhanovistes russes:
«Quand
le 15 août fut constitué la Commission des industries de guerre, huit usines
travaillaient qui payaient à leurs ouvriers 150 000 pesetas; le 15 septembre,
il y avait 24 usines et 268 000 pesetas par semaine, jusqu’à arriver au
chiffre actuel (juillet 1937) de 290 usines de guerre qui reçoivent en salaires
3 500 000 pesetas par semaine versés à 150 000 ouvriers... En plus on ouvrit
une mine de ferro-manganèse dont l’exploitation contrôlée par la CNT a
contribué au succès de l’entreprise.
Grâce
à sa capacité d’adaptation, le prolétariat catalan a pu construire depuis
la cartouche jusqu’au moteur d’avion en passant par les canons, les tanks,
les obus et bombes d’avion.»
Malgré
la pénurie des matières premières la Catalogne arrivait à fournir du matériel
de guerre pour l’Espagne gouvernementale.
Beaucoup
d’usines qui avaient fabriqué des objets de consommation furent transformées
en usines de guerre. Le Conseil économique créa une organisation planiste
modèle pour assurer le fonctionnement normal des services publics et des usines
fournissant les matières premières. Il augmenta non seulement le rendement
technique, mais encore l’exploitation des sources naturelles d’énergie et
des gisements. En pleine guerre, une grande œuvre de civilisation a été
accomplie surtout dans l’électrification. Les services dépendant de
l’importation de matières premières fonctionnent toujours mal, notamment
l’industrie textile, qui ne peut acheter ni laine ni coton, et les chemins de
fer qui manquent de charbon. Le ravitaillement de la population en vêtements
souffre encore du fait que la livraison des nouvelles tenues a l’armée prime
toute autre commande.
L’équipement
économique de la Catalogne lui permettrait de ravitailler une grande partie de
l’Espagne en vêtements, produits chimiques, meubles, objets d’entretien.
Coupé de ses débouchés et fournisseurs naturels, le tiers de l’industrie chômait,
tandis que d’autres usines n’avaient ni assez de main-d’œuvre ni assez de
matières premières. Il fallait subvenir au manque de matières premières,
trouver de nouveaux débouchés, et au besoin transformer l’industrie selon
les nouvelles conditions économiques. La question du commerce extérieur fut résolue
par l’intervention russe; on payait le matériel de guerre par l’exportation
de vins, d’alcool, de vinaigre, de meubles, etc. Le problème des carburants
et de la puissance motrice en général ne fut jamais résolu d’une matière
satisfaisante: l’électrification est, par sa nature même, une œuvre de
longue haleine qu’on pouvait entamer, mais qui serait longue à accomplir. La
Catalogne n’étant qu’un petit pays, toute tentative d’y installer une économie
fermée était vouée à l’échec. Pour entretenir la production, il fallait
prélever les fonds nécessaires sur le compte en banque des anciennes
entreprises ou même avoir recours au crédit public. Beaucoup d’usines spécialisées
travaillaient à perte et accumulaient de grands stocks; mais en tout cas, on a
évité l’arrêt de la production. Les difficultés ne furent patentes que lorsque la pénurie
des matières premières se fit sentir.
Pour
remédier à cet état de choses, il aurait fallu établir un plan de
production. Cela se heurta aux jalousies entre partis et on n’arrivait qu’à
des plans partiels, l’œuvre des syndicats pour la plupart.
Nous
avons insisté plus haut sur tout ce qui a été obtenu dans le régime intérieur
des usines et dans l’organisation des industries en général. Les
syndicats continuaient à être l’instrument de l’organisation directe, mais
l’Etat exerçait le droit de regard et confirmait la nomination des directeurs
techniques. Le double gouvernement industriel impliquait une tendance
socialiste. Ce
qui, aux yeux des ouvriers confédérés, manquait encore ressort d’un
questionnaire que le Comité régional de la CNT a adressé en février au Comité
correspondant de l’UGT, en vue d’une liaison organique des deux centrales
syndicales, On y lit: Faut-il aller à la socialisation de toute la production
sur la base de la Fédération d’industrie et sous la direction d’un Conseil
technique issu de la représentation proportionnelle des deux centrales
syndicales? (Cette question s’attaque à l’ingérence des partis et de
l’Etat dans la direction des usines et tend à soustraire l’UGT à la
tutelle politique du PSUC.) Faut-il créer le Conseil général de l’Economie
qui unifierait le financement et contrôlerait le Conseil technique de chaque
industrie en vue d’organiser la production? (C’est dire qu’on n’était
pas satisfait de la situation créée par le double gouvernement où la gestion
financière dépendait en partie du gouvernement de la Généralité?) Faut-il
établir le salaire unique familial? (Autrement dit: faut-il procéder à la
distribution socialiste immédiate?) Sous quelle forme? (Donc, on
se rendait compte des difficultés qui subsistaient encore.) La propriété
urbaine doit-elle passer au pouvoir des municipalités? (Comme nous l’avons
indiqué plus haut, les communistes s’étaient engagés à établir le
principe du rachat des propriétés.)
Les revendications socialistes qui étaient contenues
dans le questionnaire confédéral ne furent pas considérées comme base utile
de pourparlers par l’UGT, et c’est ainsi que la condition préalable de
toute tentative socialiste, l’unité syndicale, ne fut pas réalisée. La révolution
en était donc réduite à se développer sur le plan local, coopératif et
professionnel et ne fut guère poussée sur le plan régional. Aucune grande mesure révolutionnaire
ne fut prise par le Conseil de la Généralité après son remaniement en décembre.
Retour
de la «Politique».―
Nous avons indiqué plus haut que le POUM devait démissionner, le 18 décembre,
devant l’ultimatum russe. Bien que l’importance de ce parti ne correspondit
nullement à l’affairement qu’il savait déployer à l’étranger, ce départ
marquait un point tournant de la révolution. Frapper d’exclusive un parti révolutionnaire,
c’était rompre l’unité du prolétariat. On ne pouvait mener à bien cette
opération qu’après avoir dissous les comités locaux. L’initiative de la révolution
était passée de la base aux chefs, c’est-à-dire qu’elle était soumise désormais
au marchandage des organisations. Le gouvernement se libérait de plus en plus
du contrôle de la base, la concentration gouvernementale, de son côté, rendit
les organisations ouvrières plus indépendantes de leurs adhérents.
D’autre
part, ce recul social était accompagné d’un pas en avant du point de vue économique.
L’autorité des organismes centraux se trouvait accrue par rapport à celle
des comités d’usine; on allait, enfin, procéder à l’application d’un plan
de travail. L’ancien conseiller à l’Economie, Fabregas, qui avait
favorisé une sorte de «capitalisme syndical», fut remplacé par son
coreligionnaire Santillan, qui était planiste. C’est lui qui installa l’économie
dirigée en Catalogne, grâce à l’intervention renforcée de l’Etat
dans la gestion technique des entreprises. Les divers services furent coordonnés
et l’on arriva à obtenir de la production les résultats voulus, ou plutôt
exigés par la guerre et la pénurie.
Plus
tard, Santillan fut remplacé par le communiste Comorera qui, peu embarrassé
par des scrupules de doctrine, se précipita tout de suite dans une sorte de NEP
selon le modèle russe. Convaincu que les capitalistes savent toujours se débrouiller
dans les affaires, il promit des gains intéressants aux commerçants qui
sauraient trouver les matières premières nécessaires et écouler les produits
catalans. En
effet, malgré le monopole du commerce extérieur, tout le domaine du commerce
fut rendu au régime capitaliste.
Le
20 décembre, le nouveau ministre publia 58 décrets élaborés par le
conseiller aux Finances, M, Terradellas, et qui tendaient a arrêter la révolution.
En même temps, Comorera, conseiller au Ravitaillement, abandonna
l’organisation syndicale des marchés alimentaires, le monopole du commerce
extérieur et le système du barême des prix. Dans les conditions de guerre,
sous l’autarcie involontaire, cet abandon amena aussitôt la hausse des prix.
On comprend difficilement que la haine des syndicats ait amené ce communiste à
oublier toute prudence qui s’imposait en temps de guerre. Cette lutte de
classe, menée au profit d’une minorité nationale et d’une puissance étrangère,
est à la base de la pénurie qui devait frapper la Catalogne en 1938. On touche
ici, de nouveau, aux deux points cruciaux de cette guerre: l’Etat lié aux
classes moyennes lutte contre la classe ouvrière, et tous les deux sacrifient
l’intérêt de la guerre à leur intérêt de classe, tandis que le prolétariat
fait des sacrifices toujours plus grands sans pouvoir imposer à ses alliés une
organisation efficace.
Le
12 janvier, les 58 décrets relatifs aux finances furent mis en vigueur; ils
donnèrent pleins pouvoirs à M. Terradellas, rendirent définitive la
municipalisation des services publics, abolirent l’autonomie financière des
municipalités, soumirent à la surveillance de l’Etat les entreprises
nationalisées et les banques, instituèrent plusieurs taxes et impôts fort
impopulaires, frappèrent les entreprises collectivisées d’un nouvel impôt
sur le chiffre d’affaires et d’un timbre spécial pour la formation de
nouvelles sociétés, et octroyèrent, enfin, à toute personne ayant résidé
en Catalogne avant le 19 juillet, le droit à des dommages-intérêts pour des
biens perdus ou détruits à cause des événements.
Une
autre position révolutionnaire fut détruite par un décret affectant la police
secrète à un organe de l’Etat et transformant le Comité des investigations
des milices en Comité de vigilance.
Ce
«train» définit, pour la première fois, les limites des révolutions régionaliste
et sociale. Il attribua à la Généralité les fonctions d’un Etat vis-à-vis
de «Valence» et vis-à-vis des municipalités et syndicats. La révolution démocratique
catalane se décomposa. A Barcelone, les milices ne sont plus populaires, les vêtements
bourgeois réapparaissent, le pourboire est de mise à nouveau. On dit «Senor»
et «usted» au lieu de «salud» et «camarada».
Thermidor
s’organise.―
La Catalogne résistait toujours à l’emprise de l’Etat central et de
l’esprit de la guerre. Le pouvoir régionaliste se servait des masses révolutionnaires
pour conserver son indépendance vis-à-vis de Valence et le mouvement révolutionnaire
s’abritait derrière le pouvoir regionaliste. En janvier, la première «sublevaciôn»
(soulèvement) eut lieu à Fatarella contre les autorités locales anarchistes.
Depuis
janvier, les communistes provoquaient des crises ministerielles en Catalogne,
empêchant les anarchistes de consolider l’organisation économique et la Généralité
d’établir un commandement unique catalan. D’autre part, les républicains
catalans s’allièrent aux républicains de Valence. Le 27 février, Companys
annonça des mesures draconiennes contre les «incontrôlables» et mit en
demeure les anarchistes de se soumettre aux mesures de mobilisation générale
du gouvernement central. Le 3 mars, un train de décrets relatifs à la sécurité
intérieure abolit la base légale du pouvoir ouvrier: la Junte de sécurité
devait être remplacée par un nouveau conseil sous la direction du ministre;
les patrouilles de contrôle et la police de l’Etat devaient être dissoutes;
les comités des milices et les conseils municipaux de sécurité devaient être
supprimés; l’adhésion à une organisation politique ou syndicale deviendrait
incompatible avec l’exercice d’une fonction publique. Mais ces
décrets ne furent pas appliqués.
Les conseillers anarchistes protestèrent; ils
n’apparaissaient plus aux réunions du ministère. Les milices, les Comités de vigilance, les patrouilles
de contrôle ne se laissaient pas faire; une véritable guérilla se déroulait
dans toute la Catalogne. Les forces policières nouvellement constituées
cherchaient à dissoudre les milices révolutionnaires. On se volait les armes
et on ne les envoyait pas au front. Le 5 mars, les communistes s’emparèrent
de douze tanks nouvellement fabriqués qui se trouvaient dans un dépôt
appartenant au Conseil de la Défense.
La
crise était ouverte en permanence; de nouveau la Catalogne avait deux
gouvernements. Les républicains et les communistes étaient décidés à ne pas
faire la guerre sans obtenir le recul de la révolution, les anarchistes
n’acceptaient pas cette alternative. Ils parlaient ouvertement d’un «deuxième juillet»
qui approchait. «Avant
de prendre Saragosse, il faut prendre Barcelone». La guerre était devenue
tripartite.
La
bataille de Barcelone.―
Le 16 avril, Companys forma un nouveau gouvernement, sous la direction de
Tarradellas, auteur des décrets visant à la nationalisation de la police. Fin
avril, Valence invita le président Companys à agir vite, s’il ne voulait pas
gâter les négociations internationales que le gouvernement avait entamées. Un
ultimatum fut adressé aux anarchistes: ils furent sommés de remettre les armes
et d’accepter le décret de sécurité dans les 48 heures. Là-dessus, les
premières escarmouches s’engagèrent à Barcelone, le 30 avril et le ler
mai. On craignait les affrontements, au point qu’on décida de ne pas célébrer
le Premier Mai. Des groupes armés de la FAI en vinrent aux prises avec la
police et avec les communistes. Dans la nuit du 2 mai, ils désarmèrent des
policiers chargés de leur enlever leurs armes.
Le
3 mai, Rodriguez Sala, commissaire de l’Ordre public à Barcelone, fit
irruption dans la Centrale téléphonique, place de Catalogne. Cet édifice,
importante position stratégique, était, depuis juillet, sous le contrôle des
syndicats; la garde y était montée par les anarchistes. Les policiers occupèrent les
premiers étages, mais furent arrêtés dans l’escalier.
Une bataille s’engage; les ouvriers confédéraux,
vite alertés, viennent construire des barricades; dans toute la ville, devant
les maisons des syndicats et des partis, devant l’hôtel de ville, dans les
faubourgs, on se bat. Les
ouvriers syndiqués sont unis, pour une deuxième fois, contre la police, les «mozos»
de la Esquadra et les communistes. Ils
tiennent toutes les positions. On compta 1 000 à 1 500 tués selon les
communiqués gouvernementaux. Les ministres accourent prêcher le calme. Un
gouvernement de la Généralité hâtivement constitué ne parvient pas à siéger,
le représentant de l’UGT étant tombé dans le combat. Au troisième jour de combat, l’armistice est conclu,
les anarchistes donnent l’ordre de la retraite. Valence envoie un navire de
guerre et des détachements de police. Il prend à sa charge le service
d’ordre et transmet au général Pozas les pleins pouvoirs. C’était la fin
de la Catalogne et de la révolution.