Dans
quelle mesure les impressions que j’ai pu recueillir lors de mon second voyage
ont-elles été confirmées ou invalidées par les événements ultérieurs?
Quels nouveaux courants peut-on discerner dans la révolution espagnole depuis
les désastres conjugués de Málaga et du secteur sud du front de Madrid? Je ne
suis pas en mesure de répondre à ces questions en m’appuyant sur des
observations recueillies sur le terrain. Je ne peux que proposer des conclusions
que j’ai essayé de tirer à partir de sources qui me paraissent dignes de
foi. Certains des faits à considérer sont patents dans la mesure où ils ont
été rapportés par la presse. Mais diverses expériences m’ont appris le
scepticisme et je sais bien par ailleurs que, du fait des règles de censure en
vigueur dans les deux camps et des conditions de tension internationale qui règnent
aujourd’hui, les comptes rendus de presse sont loin d’être aussi dignes de
confiance qu’on pourrait le souhaiter; j’ai donc pris soin de ne pas
accepter un seul fait sur la seule foi de ces comptes rendus.
Deux
faits sont manifestes: les insurgés ont laissé les républicains masser des
troupes à l’ouest d’Almería, à temps pour endiguer l’avance fasciste
après la chute de Málaga. De même, l’offensive contre le secteur sud du
front de Madrid, qui s’était engagée sous de si favorables auspices pour
Franco après la percée de Jarama, a été stoppée dans les premiers stades de
son développement. Ainsi, les offensives déclenchées en février ne se sont
pas traduites par des succès définitifs.
Deuxième
fait, le débarquement de Sagunto en février, qui devait couper Valence de
Barcelone et faire ainsi définitivement pencher la balance en faveur des insurgés,
n’a pas eu lieu. Les informations recueillies sur les préparatifs de cette
offensive sont trop précises pour que le doute soit permis: si le débarquement
n’a pas eu lieu, c’est que Franco a modifié ses plans stratégiques.
Il
est difficile de dire pourquoi les insurgés ont pour le moment renoncé à ce
projet de débarquement. Les défenses côtières étaient infiniment plus vulnérables
que tout autre point des positions gouvernementales, pour la simple raison
qu’on n’a jamais affecté à ce secteur de troupes de valeur — et ceci
parce qu’il était hors de question de dégarnir les endroits où se livraient
des combats décisifs au profit d’un front purement potentiel. Avant qu’une
des brigades internationales puisse être engagée dans le combat sur la côte,
il aurait fallu attendre un minimum de vingt-quatre à quarante-huit heures, délai
qui aurait suffi à donner un avantage considérable aux insurgés. En outre, le
point qu’ils avaient choisi pour porter leur attaque était beaucoup plus
sensible que toute autre région contrôlée par le gouvernement.
Je
ne vois aucune explication militaire à ce changement survenu dans les plans du
camp franquiste. Mais l’explication est peut-être politique. Le débarquement
à Sagunto devait s’effectuer à partir de Majorque. Il y a très peu de
troupes espagnoles stationnées à Majorque. Et aucun renfort susceptible d’être
facilement transporté sur cette île. Les contingents de Málaga, Cordoue et
Madrid étaient engagés dans de durs combats. Ceux de Teruel devaient
contribuer au succès du débarquement par une attaque déclenchée à partir de
l’ouest. Seul le front de Saragosse aurait pu fournir des troupes, mais là
les difficultés de transport étaient considérables. Le débarquement aurait
donc été une affaire presque exclusivement italienne. Partant de Majorque, il
aurait montré à la face du monde que les Baléares étaient devenues
pratiquement une annexe du territoire italien. Mais la France et la
Grande-Bretagne ont à Majorque des intérêts stratégiques beaucoup plus
puissants que sur n’importe quelle autre partie du territoire espagnol. Le débarquement
pouvait donc entraîner de sérieuses complications internationales.
Jusque-là,
l’intervention des grandes puissances fascistes en était restée au stade des
expériences hésitantes. Les préparatifs de Majorque représentaient une de
ces expériences. Mais la violente réaction de la France et de la
Grande-Bretagne devant la première tentative sérieuse de l’Allemagne pour
occuper le Maroc espagnol, en janvier, avait montré qu’il était impossible
à Mussolini de s’aventurer trop avant dans cette direction. Les préparatifs
de Majorque furent différés — suivant en cela la pente naturelle du caractère
espagnol tant qu’il n’est pas soumis à une pression trop forte.
Je
ne prétends pas être en mesure de fournir des faits irréfutables à l’appui
de cette interprétation. Il me paraît simplement que c’est la plus
vraisemblable. A la fin de février, après l’enlisement de l’offensive à
Motril et sur la route Madrid-Valence, l’aide étrangère était devenue pour
Franco une nécessité pressante. Cette aide s’exerça non pas à Sagunto mais
à Guadalajara, à l’angle nord du front de Madrid. Pour comprendre
l’importance de cette nouvelle tentative, il faut prendre pleinement
conscience du fossé existant entre les idées reçues et la réalité dès
qu’on parle de l’intervention étrangère en Espagne. Pour l’opinion
publique, des milliers d’Allemands et d’Italiens combattaient dans les
tranchées. En fait, jusque-là, seules des unités spéciales — aviation,
tanks, artillerie antiaérienne et artillerie de campagne — étaient venues
renforcer le camp de Franco. On a émis l’hypothèse, sans doute justifiée,
que des milliers d’Italiens et peut-être d’Allemands se tenaient en réserve
derrière les lignes, attendant l’ordre éventuel de monter au feu. Depuis le
début de janvier, tous les succès des insurgés ont été attribués aux
troupes italiennes et allemandes. Mais dans chaque cas précis, qu’il
s’agisse de la première offensive contre Màlaga, de l’attaque de
l’Escurial ou du désastre de la Jarama, les républicains ont contreattaqué,
non sans succès. Et invariablement ces contre-attaques ont entraîné la
capture de prisonniers espagnols, sans un seul Allemand ou Italien. Seule la
seconde de ces offensives, l’offensive décisive contre Málaga, n’a été
suivie d’aucune contre-attaque, et c’est donc le seul cas où l’on puisse
écarter absolument la thèse d’une participation d’unités d’infanterie
italiennes et allemandes. Mais on ne peut non plus rien prouver en sens inverse.
Dans l’ensemble, il paraît certain, même si cela est difficile à croire,
qu’il y a eu très peu d’interventions d’unités d’infanterie de quelque
importance avant mars. Des troupes allemandes et italiennes semblent avoir
occasionnellement été amenées sur le front pour appuyer une attaque s’étalant
sur un ou deux jours, mais retirées dès qu’elles commençaient à participer
activement aux combats. Du point de vue militaire, une telle manière de faire
est incompréhensible, mais il ne faut pas oublier qu’il existe, tant en
Italie qu’en Allemagne, des différences d’appréciation entre les
militaires et les partis fascistes quant à l’opportunité d’une
intervention en Espagne; qu’une certaine rivalité doublée de méfiance réciproque
oppose Allemands et Italiens; qu’enfin et ce n’est pas le facteur le moins
important, en bons nationalistes espagnols qu’ils sont les cadres militaires
de Franco répugnent à voir des étrangers s’immiscer dans les affaires de
l’Espagne. (La situation est quelque peu différente dans le camp républicain.
Il y a les brigades internationales, mais pas de volontaires russes. Les
brigades correspondent à la Légion étrangère du côté de Franco.)
Mais
à Guadalajara, les choses se sont passées autrement. Cette fois,
l’infanterie italienne a été engagée à fond. C’est pourquoi il y a bien
eu des prisonniers italiens, pas seulement dans les dépêches de presse mais
dans les rues de Madrid, ce qui change tout. Ces prisonniers étaient en nombre
considérable, en rapport avec l’ampleur de la défaite subie par les unités
italiennes. Si les républicains n’avaient enregistré qu’un succès limité,
comme à Motril, à l’Escurial, à Arganda, il y aurait eu moins de
prisonniers, mais ceux-ci n’en auraient pas moins existé. Or dans tous ces
cas il n’y a pas eu de prisonniers étrangers pour la simple raison qu’il y
avait très peu de combattants étrangers engagés dans les opérations.
Deux
faits, donc, émergent d’informations trompeuses et contradictoires. Pour la
première fois, des unités italiennes ont sérieusement combattu en Espagne, et
ont aussitôt subi une lourde défaite; une défaite plus significative que tous
les revers enregistrés précédemment par les Maures ou les Espagnols servant
la cause de Franco. Il est important de comprendre la véritable portée de cet
événement.
Pour
commencer, de quelles unités s’agissait-il? Selon des sources dignes de foi,
qui ne recoupent pas exactement les déclarations officielles espagnoles, il ne
s’agissait pas d’unités de l’armée régulière ni de la milice fasciste,
dans la majorité des cas à tout le moins. Une telle affirmation, comme le
scepticisme affiché dans ces lignes pour tout ce qui concerne l’intervention
étrangère en Espagne, va sans doute à l’encontre des discours emphatiques
et solennels de Mussolini qui ne rate pas une occasion de chanter les louanges
des armes italiennes en Espagne. Mais Mussolini a la réputation de savoir
manier la propagande. Dans la mesure où de nombreux aviateurs, tankistes et
autres spécialistes italiens participaient effectivement à la guerre civile et
où des unités italiennes se trouvaient maintenues en réserve à l’intérieur
du pays, il eût été vain de nier la réalité de l’intervention. De timides
démentis auraient abouti à l’effet exactement contraire. Dès lois qu’on
ne pouvait nier les faits, pourquoi ne pas les utiliser aussi largement que
possible à des fins de propagande? Cette propagande ne risquait guère d’être
battue en brèche. Chez Franco, on était bien obligé d’avaler la couleuvre
en silence et de laisser aux Italiens toute la gloire des succès remportés par
des Espagnols. Pas question de s’engager dans un grand déballage de linge
sale avec Mussolini. Personne ne se serait hasardé à mettre en doute les prétentions
italiennes, tout le monde aurait attribué à Mussolini les succès de Franco.
Et Mussolini, qui croyait fermement à la victoire finale de Franco, n’était
pas mécontent de se voir crédité d’un certain nombre de succès avant même
qu’ils ne se soient concrétisés. Mais, comme aimait à le répéter Lénine,
«il ne faut pas se parer des lauriers du vainqueur tant que le combat n’est
pas achevé».
Il
y avait donc, je le répète, des unités italiennes sur le front de
Guadalajara, mais parmi elles peu de membres de l’armée régulière ou de la
milice. Il semble que la majorité du contingent italien engagé ait été formé
de volontaires pour l’Abyssinie qui, au
moment d’embarquer, ignoraient qu’ils partaient pour l’Espagne. Mais ces
volontaires-là ne souhaitaient pas faire la guerre: à ce qu’on m’a dit,
leur but était de servir dans l’armée du travail abyssin récemment créée
sur le modèle de ce qu’on appelle en Allemagne «Servie du travail
volontaire». En un mot, bien que tous, ou la plupart de ces hommes aient
accompli leur service militaire, ils n’appartenaient aucunement à des unités
régulières mais avaient été organisés en formations de ce type dans le seul
but de leur utilisation en Espagne. La plupart avaient débarqué à Cadix dans
les derniers jours de la campagne de Màlaga mais ils n’avaient pas participé
à la prise de la ville. Ils venaient dans leur grande majorité du sud de
l’Italie et étaient pour la plupart, comme on s’en doute, de souche
paysanne: rien à voir donc avec une formation d’élite. (Soit dit en passant,
toutes les informations que je fournis ici proviennent de documents saisis sur
les prisonniers. Une des caractéristiques les plus extraordinaires de la
bataille de Guadalajara a été que, pour la première fois, les républicains
ont totalement abandonné leur habitude de mettre à mort les prisonniers. Les
avantages politiques de ce changement de comportement se sont fait immédiatement
sentir.)
Naturellement,
les estimations sur la force reelle du contingent italien varient largement. A
Valence, dans l’intention bien compréhensible de donner un maximum de résonance
au succès républicain, les sources officielles font état de cinq ou six «divisions» italiennes. Il serait hasardeux de prendre de telles assertions à
la lettre. Les impressions d’un observateur attentif me paraissent plus
convaincantes. Selon lui, il y aurait eu deux divisions engagées dans la
bataille, avec une troisième en réserve qui fut entraînée dans la débâcle
finale. Ces «divisions» comptent des effectifs assez réduits, de l’ordre
de trois mille hommes environ. Les deux ailes étaient protégées chacune par
une division espagnole. En tout donc, neuf mille Italiens et six mille Espagnols
du côté fasciste. Au début des combats, le secteur attaqué était défendu
par une brigade républicaine forte de deux à trois mille hommes. Comme
d’habitude, la reconnaissance était réduite à sa plus simple expression.
Cela a donc été une attaque surprise, effectuée par des forces d’infanterie
infiniment supérieures en nombre et bien appuyées par l’artillerie et les
blindés. Naturellement, les lignes gouvernementales furent tout de suite enfoncées.
Forts
de ce premier succès, les Italiens perdirent toute raison. Grisés par le
souvenir des victoires faciles remportées en Éthiopie, ils virent la victoire
finale à portée de la main. Il avait été décidé qu’on serait à Madrid
en quatre jours, et c’est ce qu’on avait dit aux soldats. Abandonnant toute
précaution, ils s’avancèrent en négligeant de protéger leurs flancs.
Attendre une protection adéquate aurait signifié un ralentissement de
l’avance car ils disposaient d’effectifs assez réduits, rapportés non au
contingent républicain initialement sur place mais à l’extension géographique
du champ de bataille: un front de trente kilomètres s’élargissant d’heure
en heure à mesure que les Italiens s’enfonçaient en territoire ennemi. En
outre, ils massèrent des renforts importants le long des grands axes de
communication et installèrent leurs étatsmajors à proximité immédiate de la
ligne de front. D’après toutes les règles de l’action guerrière, c’était
de la folie. Mais il s’agissait de montrer aux Espagnols comment mener à son
terme un succès initial, jusqu’à la destruction complète de l’ennemi. Un
ennemi qu’ils n’avaient pas encore rencontré.
En
douze heures, cinq brigades républicaines furent acheminées vers les points
menacés. L’état-major de Madrid avait fort bien compris que c’était une
question de vie ou de mort pour la cause antifasciste. Un nouveau succès des
Italiens et c’en était fini de la république à Madrid. Dans les renforts
envoyés, il y avait deux brigades internationales, composées principalement
d’Allemands et d’Italiens - les meilleures brigades de l’armée
espagnole, portant respectivement le nom de Thaelmann et Garibaldi. Du point de
vue militaire, ces deux brigades sont bien supérieures au niveau moyen du camp
républicain, volontaires étrangers inclus. Elles sont formées d’exilés
qui, s’étant portés volontaires, ne peuvent même plus retourner dans leur
lieu d’exil initial et n’ont donc d’autre choix que vivre ou mourir en
Espagne. Une compagnie de mitrailleurs allemands fut aussitôt jetée dans la
bataille, sans appui suffisant, avec pour seule mission de retarder l’avance
italienne jusqu’à l’arrivée de nouveaux renforts; elle fut pratiquement décimée
sans avoir cédé un pouce de terrain. Une des trois brigades espagnoles était
formée de Basques, qui ont des qualités de combattant bien supérieures à
celles de l’Espagnol moyen. Les deux autres étaient des brigades d’élite
du 5e régiment (communiste). Comme à l’accoutumée, les
volontaires étrangers supportèrent presque tout le poids de la bataille. Les
Allemands devaient effacer la tache originelle de leur dérobade devant les
forces d’Hitler. Les Italiens éprouvaient une joie sans bornes, après dix
ans d’exil, à combattre les fascistes les armes à la main, et à les mettre
en déroute. Le fait, politiquement si déplorable, du maintien en activité,
malgré les innombrables déclarations officielles, d’unités formées sur la
base de partis politiques, révélait ici tout son intérêt militaire. Les deux
brigades du 5e régiment, composé presque exclusivement de
communistes ou en tout cas entièrement communiste dans son encadrement, firent
ici la preuve de l’efficacité d’un moral reposant non seulement sur la
discipline militaire mais sur une conviction politique partagée. Par leur succès
même, les communistes réfutaient leurs slogans en faveur de la dissolution des
brigades politiques.
Les
Italiens furent d’abord retardés dans leur avance, puis immobilisés, enfin
attaqués sur leur flanc gauche, ce qui leur causa de considérables soucis.
Mais c’est l’aviation russe qui décida de l’issue de la bataille: cent
vingt avions, bombardiers et appareils de chasse, attaquèrent, non pas tant sur
les lignes que sur l’arrière, bombardant les concentrations de troupes établies
sur les routes, les postes de commandement, les batteries d’artillerie (qui,
comme il a été dit, n’étaient nullement préparés à une telle éventualité).
La supériorité des avions de chasse russes sur les avions italiens était
devenue un fait avéré au cours de ces mois de guerre (encore que cette supériorité
soit moins nette vis-à-vis des avions allemands). Mais jusqu’à Guadalajara,
la suprématie des bombardiers italiens, tant pour la vitesse que pour la précision
de la visée, était généralement reconnue. Guadalajara ne fournit peut-être
pas des enseignements suffisants pour inverser ce dernier jugement. Mais la
bataille aérienne qui s’y est livrée, la plus importante que l’on ait
jamais vue en Espagne, a montré que la chasse, et non le bombardement, semble
bien être le facteur décisif. Un nombre considérable de bombardiers seront à
même de frapper leurs objectifs s’ils sont bien protégés par des appareils
de chasse. Dans ce cas précis, l’effet sur l’ennemi fut immense. Apres deux
heures de bombardement, le front céda, sans recours, sans que se manifeste la
moindre tentative de résistance en profondeur. C’est alors qu’on découvrit
le peu de valeur qu’il fallait attribuer à l’expérience d’Abyssinie. En
Abyssinie, les Italiens n’avaient pas connu de bombardements. Ici, sous les
bombes, ils s’enfuirent, exactement comme l’avaient fait les premières
milices rouges en août et septembre derniers. C’est alors, et alors
seulement, que l’attaque sur le flanc dévoila toutes ses implications. Les
unités italiennes en pleine débandade furent prises individuellement à partie
par les forces gouvernementales qui les tenaient complètement à leur merci, en
l’absence de toute résistance organisée. Toutes les sources s’accordent
sur le fait que le bombardement a été décisif; ensuite les unités
gouvernementales reprirent le terrain perdu le premier jour pratiquement sans
coup férir, et si elles s’arrêtèrent à l’ancienne ligne de front, ce fut
uniquement par manque d’effectifs.
Il
ne fait pas de doute que la bataille de Guadalajara a changé la physionomie de
la guerre et suscité de nouveaux problèmes qui méritent d’être examinés
dans toutes leurs implications. Il serait bien sûr abusif de penser que les
Italiens s’enfuiront toujours comme ils l’ont fait à Guadalajara. Dans
cette défaite, de nombreux éléments ont un caractère purement
circonstanciel. Les Italiens se sont comportés comme s’il ne s’était pas
trouvé d’adversaire sérieux en face d’eux. Ils ont eu la preuve du
contraire et ils sauront certainement en tirer les leçons. Ils alignaient des
troupes de piètre qualité: leur attitude ne saurait fournir d’indication
absolue quant au comportement des unités régulières ou de la milice fasciste.
Il n’en demeure pas moins que des effectifs jugés par le haut commandement
tout à fait suffisants pour la mission à accomplir (ceci en fonction de
l’expérience d’Abyssinie) ont été mis en déroute et pourchassés en rase
campagne par des forces numériquement inférieures (une brigade républicaine
compte en moyenne deux mille hommes). Fait plus grave, il y a eu des désertions,
en nombre non négligeable, dès le début de l’engagement. Jusqu’ici, un
millier d’hommes ont été faits prisonniers (si l’on peut se fier aux
sources d’information concernant ce point) et la plupart paraissent particulièrement
désireux d’expliquer qu’ils se sont rendus de leur propre gré. Étant donné
la réputation qu’ont les deux camps de fusiller les prisonniers, de telles déclarations
ne sont peut-être pas entièrement sincères. Mais le fait demeure, et paraît
bien établi, que des groupes entiers de combattants se sont rendus à la première
occasion, dès que les lignes gouvernementales ont solidement tenu le terrain.
Leurs déclarations indiquent qu’ils étaient furieux d’avoir été envoyés
à la mort en Espagne au lieu d’aller travailler en Abyssinie; qu’ils
avaient été durement éprouvés par le froid qui règne sur les plateaux
espagnols et avaient finalement décidé de traverser les lignes par groupes
entiers (en chantant Bandiera rossa, selon
une de mes sources d’information). Certains de ces déserteurs avaient été
membres d’organisations socialistes avant l’avènement du fascisme, mais ce
n’était pas le cas de la majorité. Compte tenu de tous ces faits, on peut
penser que Guadalajara témoigne moins de la valeur militaire réelle de l’armée
italienne réorganisée par le fascisme que de l’état d’esprit des masses
italiennes, dans le mezzogiorno en
tout cas. La conquête de l’Abyssinie ne semble pas, en fin de compte, avoir
eu sur le plan de la propagande l’impact que lui attribuaient de nombreux
observateurs.
Nous
ne nous occuperons pas ici de ce qu’impliquent ces faits quant au développement
futur de la situation italienne. Nous n’envisagerons pas non plus les conséquences
internationales. Devant un tel camouflet, Mussolini ne peut guère réagir
autrement qu’en redoublant de violences verbales. Le seul aspect que nous
examinerons dans ces lignes, c’est la réaction inévitable à la déroute de
Guadalajara dans le camp de Franco.
Nous
avons vu en détail dans les pages précédentes quelles étaient les faiblesses
intrinsèques du camp gouvernemental. Jusqu’ici, Franco s’est maintenu grâce
aux erreurs, voire aux bêtises, de ses ennemis. Il a remporté un succès
devant Tolède, a pu avancer jusqu’aux faubourgs de Madrid parce que ni les républicains
ni les socialistes n’avaient su organiser une véritable armée. Dès qu’il
s’est heurté à un embryon de résistance organisée, le 8 novembre à
Madrid, il a dû s’arrêter. Il n’a fait qu’une bouchée de Màlaga où
rien n’avait été préparé pour la défense. Mais à chaque fois qu’il a
rencontré une résistance sérieuse, il a dû interrompre son avance. Par
iui-même, Franco n’est rien, presque rien; le mouvement qui le soutient
n’a à l’évidence qu’une capacité offensive limitée. S’il a remporté
de nombreux succès, c’est parce que quelques bataillons, commandés sans
enthousiasme particulier mais organisés à la manière de troupes régulières,
suffisaient pour ces succès-là. Suffirait-il pour l’arrêter de mettre sur
pied dans le camp républicain quelques brigades se situant à un niveau
militaire similaire? Dans ce cas, la tâche est déjà accomplie. Et dans ce
cas, comme on l’a si souvent répété, le temps travaille pour les républicains.
Ils ont, à défaut d’autre chose, un réservoir presque inépuisable de matériel
humain. Franco, non. Au début, il n’a pas osé mobiliser l’arrière. Il
tente aujourd’hui de le faire. Les deux divisions espagnoles qu’il alignait
à Guadalajara étaient pour une large part composées de nouvelles recrues.
Elles ont fourni un nombre de déserteurs encore plus élevé que les troupes
italiennes, et dans ce cas il ne s’agissait pas de paysans non politisés mais
d’ouvriers et de travailleurs agricoles haïssant le régime de Franco. Mais
en ne temporisant pas, Franco met sérieusement en péril sa propre existence.
Faute de renforts, ses forces ne peuvent que fondre graduellement alors que
celles de ses adversaires sont appelées a s’accroître. Il a besoin d’une
aide de l’étranger plus importante que celle qu’il a reçue jusqu’ici. Il
semble qu’en ce moment le pessimisme gagne dans le camp fasciste -
exactement comme en février dans le camp de la gauche.
Mais
il serait prématuré d’en tirer des conclusions définitives. La défensive
est infiniment plus facile que l’offensive. Le camp gouvernemental, s’il a
acquis une capacité défensive, manque encore de puissance offensive. Et la
politique suivie au cours des derniers mois rend très malaisé le déclenchement
d’une offensive victorieuse. C’est la politique qui décidera en dernier
ressort de l’issue de la guerre, comme il est de règle dans toute révolution.
Où en est donc la situation politique dans le camp républicain ?
Les
dernières semaines, pour autant qu’on puisse en juger de l’étranger, ont
été marquées par un arrêt de la progression du Parti communiste. Deux événements extraordinaires symbolisent ce rééquilibrage de
la balance des forces politiques: la disparition du général Kléber et le
rappel de l’ambassadeur de Russie, Marcel Rosenberg.
La
disparition de Kléber, le véritable responsable du front de Madrid (ce n’est
pas un Russe mais un étranger qui a servi les Russes durant de nombreuses années),
remonte à la fin de janvier. Du jour au lendemain, il a dû non seulement
abandonner ses fonctions de commandement mais disparaître effectivement, se
cacher pendant plusieurs semaines pour échapper à la vengeance de ses anciens
subordonnés. Il n’est pas vrai, comme l’a fréquemment rapporté la presse
étrangère, qu’il ait été fait prisonnier par les rebelles à Màlaga. Je
l’ai vu de mes yeux (bien que n’ayant pas eu l’occasion de lui parler) à
l’époque où couraient ces bruits, alors qu’il se cachait en fait dans le
camp républicain. Le fait même qu’il ait dû se cacher donne à réfléchir.
Le front de Madrid était le seul où les républicains se soient montrés
capables de repousser une attaque sérieuse de l’ennemi. Ils l’ont fait sous
le commandement du général Kléber et il est hors de doute que le plupart des
succès militaires remportés sur le front de Madrid entre novembre et janvier
sont à porter à son crédit, du moins en ce qui concerne le rôle joué par
l’état-major. L’organisation militaire est à mettre à l’actif
d’autres communistes appartenant au 5e régiment, tels que «Carlos Contreras» (qui n’a d’espagnol que le nom) et Lister. Ce qui a
suivi est symptomatique non pas tant de la guerre civile que de la politique
espagnole en général.
La
réussite de Kléber lui a valu de susciter un nombre considérable d’envieux.
Toute une série d’intrigues, que je suis loin de pouvoir démêler, se sont
tramées au sein de la Junte de défense de Madrid. Il ressort que Kléber,
officier pourvu de la mentalité directe d’un militaire, n’était pas en
mesure d’affronter efficacement ces manæuvres dictées par la jalousie et si
chères au cæur de tout homme politique espagnol qui se respecte. Ses amis
eux-mêmes reconnaissent qu’il était à cet égard un piètre tacticien.
Longtemps, le conflit est apparu comme un conflit de personnes et de nombreux
observateurs ont eu tendance à voir dans les arguments politiques avancés en
faveur de ses adversaires de simples prétextes pour masquer une vendetta
personnelle. C’est uniquement à la lumière des derniers événements, et
notamment du départ de M. Rosenberg, que la crise centrée autour du général
Kléber apparaît comme un tournant décisif dans l’évolution de la situation
politique espagnole.
Cette
crise, donc, s’articulait selon deux axes principaux. L’un d’eux était de
la plus haute importance militaire: Kléber voulait que les républicains
prennent immédiatement l’offensive alors que ses adversaires affirmaient que
l’heure n’était pas encore venue, que les forces gouvernementales n’étaient
pas encore prêtes. Chose étrange mais caractéristique, ce n’est pas la
solution à apporter à ce point vital qui a entraîné la crise ouverte. Ce fut
une affaire de propagande.
La
gloire du général Kléber, associée à celle des brigades internationales,
avait été répercutée par les ondes de radio à travers le monde entier. Le général
Miaja, commandant en chef en titre et autorité suprême de la Junte de défense,
se trouvait du fait de cette propagande rejeté à l’arrière-plan, avec les
milices espagnoles. D’où son ressentiment vis-à-vis de Kléber. il est
cependant hors de doute que les faits annoncés, même si c’était sur
l’initiative de Kléber et ses amis, étaient fondamentalement vrais; leur
propagande était donc justifiée du point de vue de la stricte vérité. On
aimerait pouvoir en dire autant de la plupart des campagnes de propagande. De
fait ce n’est pas Miaja mais Kléber, pas les milices espagnoles mais les
brigades internationales qui ont sauvé et continuent à défendre Madrid. Mais
là n’était pas la question. Miaja voulait orchestrer sa publicité
personnelle et celle de ses compatriotes. Mais la seule jalousie d’un genéral
n’aurait pas suffi à faire pencher la balance. En fait, Miaja a été utilisé
par les partis politiques et en particulier par les anarchistes. Ceuy-ci virent
là une occasion de stopper la progression communiste et de se venger des coups
qui leur avaient été portés en Catalogne, des massacres de Valence, de Tarancón,
du front de Teruel et tant d’autres. Ce serait aussi un mauvais coup porté à
Madrid, mais cela comptait peu. Les anarchistes firent délibérément cause
commune avec Miaja, contre Kléber et contre les brigades internationales. Ils
ajoutèrent à la querelle de personnesb une note résolument politique en suggérant
que Kléber pouvait un jour mettre sa popularité au service d’un coup d’État
communiste. Il est de fait difficile de croire que leurs craintes étaient
totalement dépourvues de fondement. Dans la seconde moitié de janvier et même
la première moitié de février, la situation évoluait réellement vers un
coup d’Etat communiste (officiellement qualifiê de «crise gouvernementale») et il ne fait pas de doute que Kléber et les brigades internationales
auraient joué un rôle en la circonstance. Jamais la tragique contradiction
quil’ depuis l’intervention russe, sous-tend toute l’activité politique
espagnole n’a été aussi frappante et aussi manifeste: laisser le champ libre
à Kléber et ses brigades internationales, c’était assurer là défense de
Madrid et se donner une sérieuse chance de retourner la situation militaire en
lançant une offensive; mais c’était aussi, avec une certitude quasi mathématique,
un coup d’État eu perspective dirigé nonseulement contre les anarchistes
mais contre le mouvement syndical en général, avec toutes les conséquences à
long terme que cela impliquait. Devant ce dilemme, les anarchistes hésitèrent
longtemps avant de prendre position. Cela n’a rien de surprenant.
Mais
la surprise vint d’ailleurs. Dans cette affaire, le renfort anarchiste fut
accueilli avec faveur non seulement par Miaja, qui après tout ne défendait que
ses intérêts, mais aussi par les adversaires les plus acharnés de ces mêmes
anarchistes, à savoir les socialistes et les républicains. Tous les partis se
retrouvèrent soudainement unis pour opposer un front commun à Kléber et aux
communistes. Caballero — pour autant qu’il joue encore un rôle politique
actif — appuya Miaja de toutes ses forces. Et il semble que les leaders républicains
adoptèrent la même attitude. La question de Kléber déboucha sur une
tentative de remodelage du gouvernement. Et ceux qui, à cet égard, étaient
les plus acharnés à réclamer un virage à droite, se trouvèrent en même
temps les premiers à réclamer la destitution de l’homme qui, avec ses
bataillons, représentait la force la plus apte à assurer ce tournant
politique. Il était intolérable, disaient-ils, qu’on présente aux Espagnols
et au monde entier le tableau d’une Espagne sauvée par les étrangers. Il était
intolérable que ces étrangers prennent le pas sur les Espagnols en matière de
commandement. Le pouvoir de décision devait être rendu à un organisme
purement espagnol et le mérite des succès enregistrés devait revenir aux
natifs de la Péninsule. L’envie et le nationalisme l’emportèrent sur la
haine des anarchistes, le désir de mettre un terme à la révolution sociale et même la
volonté élémentaire de gagner la guerre.
La
question fut réglée partiellement, d’une manière toute formelle.
Militairement parlant, les brigades internationales avaient complète liberté
de manæuvre; elles pouvaient, si elles le voulaient, marcher sur Valence,
prendre la ville et installer le gouvernement et le commandement militaire de
leur choix. Mais la situation n’est pas mûre pour une action de ce type. Ce
pourrait être la démarche d’un général victorieux, une fois la guerre
terminée; cela est impossible dans le courant d’une campagne à l’issue
incertaine. Un coup d’État des communistes, non pas avec mais contre les
socialistes et les républicains, équivaudrait à donner la victoire à Franco.
Les communistes n’ont pas voulu courir ce risque. Ils ont préféré lâcher
Kléber, l’abandonner à la vengeance de ses ennemis personnels — vengeance
que celui-ci a finalement pu esquiver, non sans difficulté. Le coup fut rude
pour les communistes. Les anarchistes avaient atteint leur objectif immédiat.
Si
je suis correctement informé, il paraîtrait qu’après la chute de Màlaga
sous le choc d’une défaite durement ressentie, les choses auraient profondément
changé en Espagne et qu’on assisterait à un regroupement de toutes les
forces du pays. Ce regroupement existe, mais il a peu de rapport avec la chute
de Màlaga dont les effets politiques, tels qu’ils ont été décrits plus
haut, ont été étonnamment réduits. En réalité, le changement est parti de
la crise du haut commandement de Madrid, qui a abouti à la formation dans la
capitale d’une Junte de défense strictement espagnole. Les communistes
manquaient des forces nécessaires pour mettre en pratique le remaniement
gouvernemental qu’ils souhaitaient, de sorte qu’ils ont renoncé à cette idée
non pas quelques jours après mais quelques jours avant la chute de Màlaga. Ce
qui a eu pour conséquence de poser le problème global da statut des Russes.
Les négociations sur l’aide russe et l’influence russe telle qu’elle
s’exerçait jusqu’ici ont échoué, et cet échec a entraîné le rappel de
Rosenberg. C’en était fini du temps où les Russes pouvaient obtenir
d’importantes sommes d’argent et des concessions politiques substantielles
en échange d’une aide limitée. Les communistes constituent toujours un parti
très influent. Mais ils ne sont pas le plus important.
Les
resultats de ce renversement de situation se font sentir de diverses façons.
Les socialistes en retirent une impression de puissance accrue; ils ont très
peu de forces propres mais contrôlent toujours la machine de lU.G.T. Ils ont
agi dans cette dernière crise comme une organisation dotée d’une ligne
politique originale et ont retrouvé une certaine assurance. Les communistes, de
leur côté, ont dû brider leur animosité contre le P.O.U.M. Les anarchistes
pensaient que l’écrasement du P.O.U.M. n’était qu’une répétition générale
de l’attaque finale qui devait être déclenchée contre eux. Ils n’ont
aucune sympathie pour le P.O.U.M. et ne l’ont pas menagé dans les premiers
mois de la guerre. Mais dès que l’influence russe et communiste est devenue
prépondérante, ils ont pris fait et cause pour le P.O.U.M., afin d’assurer
leur propre protection. Les communistes, en cessant leurs violentes attaques
contre le P,O.U.M., disent aujourd’hui qu’ils agissent de la sorte pour
arriver à une meilleure entente avec les anarchistes. Compte tenu de tous ces
éléments, une sorte d’armistice s’est instauré entre communistes et
anarchistes. Non qu’ils ne continuent pas à se détester
mutuellement et à préparer, chacun de leur côté, le règlement de
comptes final. Mais ils ont renoncé, provisoirement et partiellement au moins,
à tenter de faire basculer l’équilibre des forces par des actions violentes.
Ils se sont rendus à cette évidence que la guerre contre Franco doit prendre
le pas sur la guerre civile à l’intérieur
du camp républicain. En ce sens, on peut dire que le désastre de Màlaga a
porté ses fruits. Sans cette défaite, la crise du haut commandement et du
gouvernement aurait pu avoir des conséquences différentes. La loi qui préside
à toutes les révolutions
modernes demeure valide: les revers entraînent la révolution vers la gauche,
les victoires vers la droite. Màlaga a empêché les communistes de réaliser
leurs projets de coup d’État contre la gauche du camp antifasciste espagnol.
Les
effets, rendus tangibles par le succès de Guadalajara, semblent jusqu’ici être
bénéfiques pour les républicains. L’administration, qui était complètement
paralysée par les intrigues et la préparation d’une guerre civile à l’intérieur
du camp antifasciste, fonctionne à nouveau. La crise du charbon et de
l’essence a été atténuée grâce à des mesures administratives appropriées.
Les trains marchent à nouveau de manière normale (à la mi-février, tous les
journalistes qui empruntaient la ligne Port-Bou-Valence pouvaient faire état de
différentes mésaventures et contretemps; aujourd’hui, les trains relient à
nouveau Barcelone et Valence en huit heures, ni plus ni moins) et les opérations
à Guadalajara n’ont pas été entravées par le manque de carburant. Même du
point de vue du ravitaillement la situation semble s’être améliorée,
surtout à Barcelone, avec l’aplanissement des différends politiques. Le
gouvernement catalan achète des vivres à l’étranger.
L’état-major
a subi des bouleversements chaotiques. Lors de la destitution de Kléber, il
n’existait aucune solution de rechange pour le commandement à Madrid. Ce fut
une des raisons du désastre de la Jarama, sur l’aile sud du front de Madrid.
Mais la réorganisation s’est faite. Après la chute de Màlaga, le général
Asensio a été relevé de ses fonctions de chef de l’état-major au ministère
de la Guerre à Valence. A Madrid, les communistes se sont vus contraints de
mettre leurs conseillers techniques étrangers à la disposition d’un
commandement purement espagnol. En fin de compte, ils ont ainsi été conduits
à apporter leurs capacités techniques spécifiques sans obtenir en
contrepartie la suprématie politique. Des mesures pour l’unification des
commandements militaires espagnol et catalan ont été prises. Si la Jarama
correspond à la phase de chaos qui a suivi la chute de Kléber, Guadalajara témoigne
de la réorganisation du commandement, Au moment où les divisions italiennes
effectuaient leur percée, la Junte de défense a obtenu les pleins pouvoirs
pour prendre toutes les mesures requises par la situation, y compris le
transfert de troupes prélevées sur d’autres secteurs. Si, pour la première
fois peut-être, on a eu affaire à un commandement véritablement unifié,
c’est qu’alors personne ne redoutait de le voir remporter une victoire. En
conséquence, ce fut la victoire.